N° 1687

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 10 juin 1999.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE

sur la situation financière, patrimoniale et fiscale des sectes, ainsi que sur leurs activités économiques et leurs relations avec les milieux économiques et financiers (1),

Président

M. Jacques GUYARD,

Rapporteur

M. Jean-Pierre BRARD,

Députés.

——

La commission d’enquête sur la situation financière, patrimoniale et fiscale des sectes, ainsi que sur leurs activités économiques et leurs relations avec les milieux économiques et financiers est composée de : MM. Jacques guyard, président, Jacques Myard, Rudy Salles, vice-présidents, Bernard Perrut, Mme Chantal Robin-Rodrigo, secrétaires, Jean-Pierre Brard, rapporteur ; Mme Roselyne Bachelot-Narquin, MM. Richard Cazenave, Eric Doligé, Jean-Pierre Foucher, Jacques Heuclin, Jérôme Lambert, Mmes Catherine Picard, Yvette Roudy, M. Philippe Vuilque.

 

S O M M A I R E

_____

INTRODUCTION ***

Première partie : l’organisation des sectes : des structures qui assurent l’opacité et la rentabilité d’un phénomène mouvant (1)

I.— un phénomène mouvant (1_1)

A.— de fortes disparités (1_A)

1.– La typologie de 1995 garde toute sa pertinence *

2.– Le paysage sectaire actuel *

a) Les mouvements en expansion *

b) Une tendance à la déspécialisation *

3.– Les mouvements sectaires au regard de l’objet de la Commission *

B.— une instabilité fréquente *

1.– Le renouvellement des adhésions à l’intérieur des mouvements *

2.– La transformation des mouvements *

II.— une organisation opaque *

A.— des structures pyramidales en réseau *

1.– L’organisation sectaire et ses variantes *

a) L’existence d’un siège international situé à l’étranger *

b) La mise en place de structures fédérales *

c) Le recours à des structures dédiées aux investissements immobiliers *

d) La présence d’une branche économique *

e) La possibilité de structures de financement spécifiques *

2.– Les montages juridiques les plus représentatifs *

a) La Contre réforme catholique ou l’exemple d’une organisation sectaire complète *

b) La Scientologie ou l’exemple d’une organisation pyramidale particulièrement poussée *

c) Les Témoins de Jéhovah ou l’exemple d’un montage associatif intégré *

3.– Les structures particulières *

B.— les buts recherchés *

1.– La recherche d’une reconnaissance publique pour la vitrine de la secte *

2.– Le maintien de la clandestinité du réseau sectaire *

 

III.— L’utilisation de statuts avantageux *

A.— le recours à l’association déclarée et le détournement de la loi de 1901 *

1.– Une personne morale soumise à des obligations minimales mais disposant d’une large capacité juridique *

a) Des obligations minimales *

b) Une large capacité juridique *

2.– L’utilisation de la présomption d’absence de lucrativité *

a) Une présomption d’absence de lucrativité *

b) Un statut fiscal privilégié *

c) L’application des critères de la gestion lucrative aux associations sectaires *

3.– Le recours au bénévolat *

a) Une notion difficile à cerner et parfois utilisée de façon abusive *

b) Le régime applicable *

B.— la revendication du statut cultuel et le recours à la loi de 1905 *

1.– Un régime dérogatoire au droit commun des associations déclarées *

a) Les associations cultuelles en régime de séparation *

b) L’exercice d’un culte en régime concordataire *

2.– Un statut interprété de manière divergente par l’administration *

3.– Un statut soumis aux hésitations du juge *

4.– Le régime de protection sociale des cultes *

c.— l’utilisation de la législation relative à la vie politique *

1.– Une législation offrant un statut et des avantages financiers propices au développement du phénomène sectaire *

a) Les avantages liés au statut de parti politique *

b) Le bénéfice de l’aide budgétaire publique *

c) Le remboursement des dépenses de campagne électorale *

d) L’accès aux temps d’antenne de la campagne radiotélévisée *

2.– Les possibilités d’aménagement de la législation *

D.— Les vitrines humanitaires des sectes et le recours au statut d’organisation non gouvernementale *

1.– Un statut mal défini, mais offrant des avantages non négligeables *

a) La notion et le statut d’ONG *

b) Des avantages non négligeables *

c) Les exemples de sectes reconnues ONG *

2.– La convention européenne du 24 avril 1986 *

a) Un élargissement de la capacité juridique des OING *

b) Un champ d’application défini de manière extensive *

c) Des possibilités de restriction limitées et difficiles à mettre en œuvre *

 

deuxième partie : l’influence des sectes : un indéniable poids économique et financier *

I.— une influence économique inquiétante *

A.— panorama des activités économiques des sectes *

1.– Les secteurs de prédilection *

2.– La pénétration des entreprises *

3.– Une exploitation habile des techniques commerciales *

a) Le démarchage personnalisé *

b) La franchise *

c) La vente pyramidale *

d) Les techniques de commercialisation des doctrines *

B.— le secteur de l’éducation *

1.– Les enseignants recrutés *

2.– Les méthodes éducatives commercialisées *

3.– Les établissements contrôlés *

4.– Les assistantes maternelles *

c.— le secteur de la santé *

1.– L’ampleur du phénomène *

a) Le recrutement sectaire *

b) Une industrie parallèle de soins *

2.– Les mesures proposées *

a) Accroître la vigilance du ministère chargé de la Santé *

b) Mieux établir les responsabilités des institutions ordinales des professions de Santé *

c) Réfléchir à des aménagements législatifs et réglementaires *

D.— le marché de la formation professionnelle *

1.– Un marché propice au développement des pratiques sectaires *

a) Des enjeux financiers et commerciaux importants *

b) Une réglementation minimale *

c) Un contrôle limité dans sa définition et dans ses moyens *

d) Un marché investi par plusieurs organisations sectaires *

e) Des infractions nombreuses *

2.– Une réforme nécessaire *

a) Permettre un agrément et un contrôle efficaces *

b) Des aménagements techniques utiles *

c) Une plus forte implication de l’administration *

d) Encourager les efforts en faveur de la déontologie *

II.— un poids financier insoupçonné *

A.— une richesse inégale *

1.– Les deux sectes les plus riches *

2.– Les " grandes sectes " *

3.– Les " sectes moyennes " *

4.– Les " petites sectes " *

5.– Les sectes inclassables *

B.— des revenus d’origines comparables *

1.– Les dons *

a) L’appréciation du degré de spontanéité des dons *

b) L’existence de contreparties aux offrandes *

2.– Les revenus d’activités *

a) L’importance des revenus tirés des activités sectaires *

b) L’exemple de la Scientologie *

3.– Les financements publics *

C.— une puissance financière utilisée à des fins convergentes *

1.– Asseoir l’influence du mouvement *

a) L’acquisition d’un patrimoine souvent éloigné de l’objet des associations concernées *

b) Le parc immobilier des sectes *

c) Des investissements au service des pratiques sectaires *

2.– Enrichir les dirigeants du mouvement *

3.– Financer l’organisation internationale *

troisième partie : les pratiques sectaires : une fraude très répandue *

I.— Les infractions à la législation sociale *

A.— les infractions au code du travail *

B.— les infractions au code de la sécurité sociale *

1.– Des infractions apparemment peu contrôlées *

2.– Le litige avec la Scientologie *

3.– Le redressement opéré sur les Témoins de Jéhovah *

II.— Les infractions économiques et financières *

A.— des infractions pénales multiples et fréquentes *

1.– Un développement inquiétant de la délinquance économique et financière *

2.– Les condamnations prononcées *

3.– Les procédures en cours *

B.— des infractions souvent impunies *

1.– La faiblesse du nombre de plaintes *

2.– Le taux élevé de désistements *

3.– La difficulté de l’instruction *

C.— un arsenal juridique adapté mais difficile à utiliser *

1.– Un arsenal accru et perfectionné *

a) L’application des dispositions du nouveau code pénal a fait l’objet d’un début de jurisprudence *

b) Les infractions nouvelles *

2.– Un arsenal toutefois difficile à utiliser *

a) La question d’une incrimination spécifique *

b) Les obstacles psychologiques et matériels *

III.— La fraude fiscale *

A.— une fraude importante par son montant et la diversité des malversations *

1.– Les activités associatives non déclarées *

a) L’absence de déclaration d’activités lucratives *

b) L’absence de déclaration des dons manuels *

c) L’absence de déclaration des revenus du patrimoine *

2.– L’utilisation des sociétés filiales à des fins frauduleuses *

a) La fraude à la TVA *

b) La minoration de l’assiette de l’impôt sur les sociétés *

3.– La distribution occulte de revenus *

B.— une fraude généralement impunie *

1.– Une dette très importante *

2.– Une dette généralement impayée *

3.– L’absence de poursuites pénales *

IV.— Les dimensions internationales de la fraude sectaire *

A.— des circuits internationaux de financement occulte *

1.– L’importance des transferts de fonds depuis ou vers l’étranger *

2.– Des circuits peu contrôlables *

B.— les exemples de financement international de sectes *

1.– Les transferts sous couvert d’une marque déposée *

2.– La fuite de capitaux par l’intermédiaire d’une société civile immobilière *

3.– L’exemple de la collecte des fonds scientologues *

V.— la nécessité de renforcer la mobilisation de l’administration *

A.— Des efforts importants mais inégaux *

1.– Les moyens *

2.– La coordination entre les administrations *

3.– La collaboration entre États *

4.– Le rôle confié à la Mission interministérielle de lutte contre les sectes *

B.– Les améliorations indispensables *

1.– Mobilisation *

2.– Coordination *

3.– Spécialisation *

4.– Coopération internationale *

conclusion *

Synthèse des propositions de la commission *

annexes *

EXPLICATIONS DE VOTE*

 

INTRODUCTION

Au début de ses Anti-mémoires, André Malraux relate une conversation avec le prêtre qui fut, pendant la Résistance, aumônier du Vercors : " Qu’est-ce que la confession vous a appris des hommes ? – Que les gens sont beaucoup plus malheureux qu’on ne croit et, le fond de tout, qu’il n’y a pas de grande personne. "

Les différents travaux qui, depuis une vingtaine d’années, ont essayé de cerner, avec toujours davantage de précision, le fait sectaire, auraient pu légitimement accréditer ce constat. Comment, en effet, expliquer autrement un phénomène qui, en apparence, échappe à toute rationalité ?

Nul ne peut nier que le premier aliment des sectes, à côté des doutes sur le sens de l’existence et des discours sur les " excès de la valeur de tolérance ", selon les termes d’un éminent universitaire, provienne de la misère humaine, dont on connaît les composantes dans une société développée de cette fin de siècle : le chômage et la crainte de perdre son emploi ; les marges de grande pauvreté qu’aucune politique sociale n’a pu, jusqu’ici, résorber vraiment ; les maladies incurables et un taux incompressible de morbidité contre lesquels la médecine classique affiche cruellement ses limites ; la solitude croissante dans un univers qui a perdu l’essentiel des institutions traditionnelles de la solidarité ; la complexité toujours grandissante de la vie quotidienne qui suscite toutes formes de rêves d’évasion.

Le développement des sectes demeure, avant toute chose, le symptôme du malaise d’une société. Même s’il n’existe évidemment pas d’adepte-standard, on peut en revanche déterminer le profil du candidat à être victime d’une secte : celui qui, avec raison ou non, croit avoir trop souvent rencontré l’injustice ou les privations, et qui vit un manque affectif, quel que soit son niveau social et intellectuel, franchit un seuil de fragilité qui le rend particulièrement vulnérable aux tentations sectaires.

Pour sa part, la commission d’enquête sur les sectes constituée en 1995 au sein de l’Assemblée nationale avait, dans son rapport, souligné le lien fort entre le développement du phénomène sectaire et l’existence d’une demande, de besoins qui ne trouvent pas d’autre moyen d’être satisfaits.

Au demeurant, s’il est évident que le contexte dans lequel se développe le phénomène sectaire ne saurait être ignoré – la psychologie et la sociologie sectaires ont fait et font encore l’objet d’analyses multiples et approfondies au sein d’instances spécialisées – et que d’importants efforts de sensibilisation de l’opinion et de mobilisation des pouvoirs publics ont été réalisés au cours de la période récente, l’hydre est non seulement toujours vivante, mais paraît évoluer et prospérer dans un corps social encore impuissant à secréter un antidote. C’est bien pourquoi, l’Assemblée nationale a estimé, le 15 décembre 1998, que le moment était venu de remettre l’ouvrage sur le métier, pour compléter et prolonger le travail réalisé en 1995. Car si l’on devait, d’une phrase, caractériser l’évolution du phénomène sectaire au cours des dernières années, ce serait pour montrer qu’il a perdu en spiritualisme ce qu’il a gagné en mercantilisme et que sa nocivité s’en est accrue d’autant. Il fallait donc mettre l’accent sur un aspect plus précis de l’activité des sectes, à savoir leur dimension et leur intervention dans les domaines économiques et financiers.

Il est clair pour tous ceux – des spécialistes individuels du phénomène aux associations de défense des victimes et aux organismes publics – qui ont affaire aux agissements des sectes, que l’argent constitue souvent à la fois le moteur du véhicule, la destination du trajet et les méandres du chemin. Or, si la recherche de moyens matériels, voire du profit, n’a, en elle-même, rien de répréhensible, encore faut-il qu’elle se déroule dans le respect des règles qui l’encadrent et des libertés fondamentales de l’individu. Prendre la mesure de la puissance économique et financière des sectes, mettre en lumière, le cas échéant, les dérives constatées, afin de suggérer les correctifs nécessaires était donc devenu une mission d’intérêt public, dont l’ensemble des groupes politiques représentés à l’Assemblée nationale a ressenti l’exigence. Tel est le sens de l’adoption, à l’unanimité, de la résolution créant une commission d’enquête " sur la situation financière, patrimoniale et fiscale des sectes, ainsi que sur leurs activités économiques et leurs relations avec les milieux économiques et financiers ".

Cette résolution est le fruit de la synthèse de deux propositions :

– la première du Président de la présente Commission et de plusieurs de ses collègues du groupe socialiste tendant à créer une " commission d’enquête sur l’influence des sectes dans les milieux économiques " (n° 908) ;

– la deuxième du Rapporteur et de plusieurs de ses collègues du groupe communiste tendant à créer une commission d’enquête relative aux exigences pécuniaires, aux relations financières internationales, à la situation patrimoniale et fiscale des sectes " (n° 811).

Compte tenu de la proximité de leurs objets, la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République a proposé, et a été suivie à l’unanimité par notre assemblée, de les regrouper en une seule.

La Commission d’enquête a, dès sa première réunion, le 22 décembre 1998, été confrontée à une série de choix méthodologiques délicats qu’elle souhaite expliciter en toute clarté. En effet, tout au long de ses travaux, elle a été animée par un esprit consensuel, extrêmement constructif, visant à fournir des éléments d’analyse aussi précis que possible et non à alimenter une polémique.

Tout d’abord, la Commission a décidé à l’unanimité d’appliquer la règle du secret prévue à l’article 6 de l’ordonnance n° 58.1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires. Les auditions auxquelles il a été procédé n’ont donc fait l’objet d’aucun compte rendu public et le présent rapport préserve l’anonymat des personnes entendues.

Tout en ne méconnaissant nullement les critiques formulées, notamment par un certain nombre de défenseurs des mouvements sectaires, à l’encontre du choix similaire fait par la Commission d’enquête de 1995, elle a en effet estimé que devait prévaloir le souci de ménager aux témoins sollicités la plus grande liberté de parole.

Pour appréhender le phénomène sectaire, la Commission s’est appuyée sur le rapport de 1995 qui, après avoir exposé la problématique de la définition des sectes, en avoir relevé la difficulté juridique, puis étudié l’approche sociologique et retenu comme fondement le critère de dangerosité au regard de l’ordre public ou des libertés individuelles, a adopté une conception recourant à la méthode du faisceau d’indices.

Enfin, la Commission a été pleinement consciente du caractère inhabituel voire confidentiel de certaines des informations qu’elle se devait néanmoins de rechercher pour remplir la mission qui lui avait été assignée par l’Assemblée nationale.

La Commission a procédé à 48 auditions qui lui ont permis d’entendre des personnes d’horizons très divers susceptibles de lui apporter un éclairage précis sur l’objet de son enquête : responsables administratifs, magistrats, universitaires et chercheurs, acteurs de la vie économique (tant responsables d’entreprise que salariés) ainsi que représentants d’organismes d’aide aux victimes des sectes et dirigeants de mouvements sectaires.

Compte tenu des délais très stricts dans lesquels sont enserrés les travaux des commissions d’enquête parlementaires, il était évident qu’elle ne pouvait envisager d’auditionner l’ensemble des sectes concernées par ses investigations, ni même d’examiner la situation économique et financière de près de 200 mouvements sectaires.

Aussi a-t-elle décidé d’adresser un questionnaire à une soixantaine d’entre eux – ce qui au total représentait 80 envois, certains mouvements sectaires ayant été interrogés au titre de plusieurs de leurs associations.

Les réponses au questionnaire ont été, selon les sectes, plus ou moins détaillées (), souvent accompagnées de protestations parfois extrêmement virulentes. Dans un certain nombre de cas, la Commission n’a reçu aucune réponse ou seulement une lettre de protestation.

Quelques mouvements sectaires ont souhaité être entendus par la Commission. Celle-ci a fait droit à leur demande dès lors qu’ils acceptaient de répondre au questionnaire et que leur courrier était parvenu dans un délai compatible avec le calendrier des travaux de la Commission. En tout état de cause, il faut noter que le questionnaire comportait, in fine, une rubrique permettant à chacun de s’exprimer librement.

La Commission s’est largement appuyée sur les éléments fournis directement par les sectes lorsqu’ils étaient exploitables. Elle a également bénéficié de la collaboration des ministères les plus concernés : Défense, Economie et finances, Education nationale, Emploi et Solidarité, Intérieur et Justice.

Au terme de ses six mois de travail, la Commission tient à rappeler quels étaient ses objectifs.

Le premier n’était pas de juger, car une commission d’enquête n’est pas une juridiction, mais d’informer le Parlement et d’alerter l’opinion sur le poids économique et financier acquis par le phénomène sectaire afin d’orienter une réflexion des pouvoirs publics vers des mesures susceptibles de corriger les abus et les dérives.

Le second n’était pas d’être exhaustif, car l’ampleur et la volatilité du phénomène l’interdisent, mais d’être illustratif et démonstratif afin d’aider à la compréhension de mécanismes complexes, dont l’épaisseur du mystère sert de protection.

Il s’agissait en fait de compléter le travail de 1995 en mettant un verre grossissant sur la partie des activités sectaires qui représente – la Commission en a une conviction encore renforcée – un élément vital du phénomène.

La Commission a toutefois dû limiter son champ d’investigation aux seuls mouvements implantés en France métropolitaine et, dans la mesure du possible, à leurs liens économiques et financiers avec l’étranger, les sectes propres aux départements et territoires d’outre-mer méritant à elles seules une enquête particulière.

Le présent rapport se propose donc de montrer que, au-delà d’un discours d’inspiration ésotérique ou religieuse qu’il n’était pas dans l’objet de la Commission d’examiner, le phénomène sectaire s’appuie sur une organisation destinée à assurer l’opacité et la rentabilité de ses activités et a ainsi acquis un poids économique et financier important qui repose sur une pratique très répandue de la fraude.

 

 

Première partie :
l’organisation des sectes : des structures qui assurent l’opacité et la rentabilité d’un phénomène mouvant

La Commission a pu constater que les deux premières difficultés qui se présentent à l’analyse du sectarisme, surtout dans le domaine économique et financier, résident, d’une part, dans le caractère mouvant du phénomène, d’autre part dans le caractère opaque des organisations sectaires.

I.— un phénomène mouvant

Dans la première phase de ses travaux, la Commission a voulu camper le décor de ses investigations en essayant de retracer, à grands traits, l’évolution du panorama sectaire depuis la publication du précédent rapport.

Elle a observé, d’une part, de fortes disparités, d’autre part, une instabilité fréquente des mouvements sectaires.

A.— de fortes disparités

Si la typologie des mouvements établie en 1995 garde toute sa pertinence, le paysage sectaire a toutefois connu des évolutions et mérite d’être représenté dans sa forme actuelle avant de l’appréhender au regard de l’objet de la Commission.

1.– La typologie de 1995 garde toute sa pertinence

Avaient été distinguées, à l’époque, treize familles de sectes, classées en fonction de leur objet principal :

En affinant l’analyse, le rapport de 1995 complétait cette approche par " type dominant " d’une prise en compte de " types associés ". Or le caractère composite de certaines sectes s’est encore accru, on le verra, et dans une double direction :

Enfin, la distinction entre grandes et petites sectes semble se justifier plus que jamais, avec d’un côté, la puissance internationale de l’Eglise de Scientologie, et à l’autre extrême, une multitude de petits mouvements, ne rassemblant parfois que quelques dizaines de personnes.

2.– Le paysage sectaire actuel

Les deux plus grands facteurs d’évolution du paysage sectaire depuis quatre ans résident dans l’expansion de certains types de mouvements et dans une tendance, presque générale, à la déspécialisation.

a) Les mouvements en expansion

Si certaines sectes rencontrent des difficultés, notamment depuis 1995 et l’organisation de la lutte contre le phénomène décidée à la suite du rapport de la précédente commission d’enquête, certaines mouvances connaissent une influence croissante.

Marquent le pas les mouvements émanant de sectes internationales ou multinationales, pour deux raisons essentielles : d’une part, la pression des pouvoirs publics qui articulent de mieux en mieux leurs dispositifs, d’autre part, le fait que l’Europe de l’ouest en général et la France en particulier ne constituent plus des terres " de conquête " pour les multinationales sectaires, qui privilégient désormais leur implantation notamment dans les pays d’Europe centrale et orientale ainsi qu’en Chine.

Des bouleversements sont survenus à la tête de mouvements importants, freinant leur développement ou entraînant même leur déclin.

Ainsi le Mandarom a mal surmonté le décès de M. Gilbert Bourdin en 1998, laissant les adeptes désemparés et l’organisation aux prises avec des démêlés administratifs et judiciaires.

La mise à l’écart du fondateur du Patriarche, M. Lucien Engelmajer, a entraîné des modifications statutaires importantes et une déstabilisation de l’équipe dirigeante.

Quatre types de sectes, selon la typologie rappelée ci-dessus, paraissent connaître aujourd’hui une expansion importante :

b) Une tendance à la déspécialisation

Les mouvements sectaires ont connu, au cours des dernières années, un processus de relative déspécialisation ou d’indifférenciation. Les frontières entre les catégories sont devenues beaucoup moins rigides. De plus en plus, on rencontre diverses composantes au sein d’une même secte. Ainsi, les alternatives, les guérisseuses et les psychanalytiques ont propagé leur objet dominant comme composantes d’autres mouvements. Leur objet donnant lieu à des activités particulièrement lucratives, beaucoup de leurs consœurs ont cherché à les agréger à leur objet principal. On forcerait à peine le trait en disant que le prototype de la secte moderne est celui qui permet d’intégrer le maximum de thèmes différents.

Ainsi, la Scientologie et les nébuleuses Prima Verba et Anthroposophie, que l’on rencontrera à plusieurs reprises au cours de ce rapport, offrent un ensemble complet de prestations qui en font les hypermarchés des produits sectaires : on y dispense des conférences, des cours, des séminaires de développement personnel, des stages de formation professionnelle, on y vend des produits qui guérissent le Sida comme la calvitie, on y pratique des cultes qui vous mettent en rapport, au choix ou en bloc, avec les anges, les disparus, les divinités de toutes sortes ; on peut y sauver votre entreprise si elle rencontre des difficultés économiques, ou votre famille si elle éprouve le mal de l’incommunicabilité entre les êtres ; on peut vous y aider à vous débarrasser de vos ennemis, et bien sûr, on peut vous y enrichir, le tout à des tarifs d’amis qui deviennent progressivement monstrueux …

Cette tendance à l’indifférenciation se manifeste le plus souvent par l’adjonction dans un premier temps d’une composante nouvel-âge ou guérisseuse dans un groupe de type originel différent.

Le processus de déspécialisation s’accompagne d’un développement des réseaux qui gravitent à la périphérie des sectes, de l’apparition de " filiales " prenant souvent le statut de sociétés commerciales et d’infiltration d’entreprises où un adepte occupe une position stratégique.

Les tableaux figurant en annexe du rapport donnent une idée, sinon exhaustive, du moins représentative, de l’expansion du phénomène sectaire au travers de la création de " filiales " des organisations principales et de la constitution de réseaux économiques.

3.– Les mouvements sectaires au regard de l’objet de la Commission

Le rapport de la Commission d’enquête de 1995 comportait une liste de près de 200 mouvements, à partir de laquelle a été sélectionné un certain nombre d’organisations au regard de l’objet et du champ d’investigation de la présente Commission, à savoir la dimension économique et financière du phénomène, qui est l’un des aspects les plus confus et les plus difficiles à cerner des organisations sectaires.

Aussi bien, le critère de dangerosité retenu en 1995 reste indépendant du poids économique et financier. Un mouvement sectaire peut être en effet extrêmement dangereux pour les personnes sans avoir d’importance économique ou financière notable.

 

En revanche, des organisations non relevées dans le précédent rapport mais qui, d’une part, remplissent certains des critères sectaires retenus dans le rapport de 1995 (), d’autre part, ont acquis un poids économique et financier certain, ont été signalées à la Commission qui, au vu des éléments d’information recueillis, a souhaité les inclure dans le champ de ses investigations : il en va ainsi de l’Ancien et mystique ordre de la Rose-Croix (AMORC), de l’Anthroposophie, de Prima Verba, d’Au Cœur de la Communication (ACC) et de Stop au Cancer.

La Commission a donc privilégié, dans son enquête, les organisations économiquement les plus puissantes mais aussi des mouvements de moindre importance se livrant à des dérives caractéristiques dans les domaines économique et financier.

B.— une instabilité fréquente

L’instabilité est consubstantielle au phénomène sectaire, comme elle l’est à toute forme d’organisation plus ou moins clandestine, plus ou moins avouable dans ses buts.

Elle se manifeste de deux manières : par le renouvellement des adhésions à l’intérieur des mouvements, et par les modifications structurelles de ces derniers.

1.– Le renouvellement des adhésions à l’intérieur des mouvements

Certains sociologues se sont élevés contre l’idée communément admise de l’embrigadement sectaire et, tout au contraire, estiment que les sectes connaissent un " turn over " important. L’un d’eux l’explique par " le besoin d’électrochoc et de nouveau départ " qui anime les personnes entrant dans une secte. Une fois cette expérience accomplie, les mêmes personnes souhaiteraient, après un certain temps, se libérer de l’emprise de la secte et " resocialiser " leur existence.

 

La Commission a, pour sa part, observé que le profil des groupes-cibles des mouvements sectaires évoluait avec le temps. Il y a une trentaine d’années, le recrutement sectaire s’opérait principalement chez des adolescents et des jeunes adultes qui désiraient vivre en communauté au service de certains idéaux, par exemple chez Moon ou chez Les Enfants de Dieu. Il y a vingt ans, les organisations sectaires, notamment la Scientologie et Bhagwan, se sont mises à valoriser l’individualisme et la recherche du " moi ", s’adressant à des personnes un peu moins jeunes (autour de la trentaine).

Dans les années les plus récentes, les mouvements nouvel-âge, guérisseur et apocalyptique se sont adressés à des personnes plus âgées et surtout beaucoup plus vulnérables.

On assiste aussi, de la part des mouvements sectaires, à des initiatives originales pour approcher le public et diversifier les cibles de recrutements.

Le Mouvement raëlien a proposé, sur Internet, l’attribution à chaque individu, y compris aux nourrissons qui " créent un potentiel d’échanges ", d’un revenu minimum d’existence (RME).

Une de ses filiales, domiciliée aux Bahamas et dénommée Valiant Venture Ldt, offre une assistance scientifique aux parents désirant avoir un enfant qui serait le clône de l’un deux.

La population carcérale, les chômeurs et les populations immigrées constituent également des cibles dorénavant privilégiées :

2.– La transformation des mouvements

Afin de déjouer les contrôles que les pouvoirs publics peuvent mettre en œuvre, les mouvements sectaires se transforment avec une facilité déconcertante. Les sectes les plus performantes dans les activités frauduleuses sont passées maîtresses dans l’art d’abandonner leurs habits anciens et de faire peau neuve.

D’autres modifications interviennent à la suite des conflits et des scissions qui montrent l’extrême mobilité du phénomène.

Les exemples sont nombreux. On citera ici, à titre d’illustrations, quelques cas représentatifs du phénomène :

D’autres mouvements procèdent par ailleurs à des réorganisations ou des transferts d’activités :

II.— une organisation opaque

Le mode de structuration d’un organisme traduit bien souvent les objectifs qui lui sont assignés. Pour remplir la tâche qui lui était confiée, la Commission devait par conséquent examiner la manière dont les sectes s’organisent. Cet examen a permis de constater que les préoccupations purement organisationnelles des mouvements sectaires rejoignent souvent leurs ambitions économiques et financières.

L’organisation des sectes n’est ni facile à appréhender, ni aisément restituable. Les sectes entretiennent sur leurs activités comme sur les structures qui les composent une part de mystère. Elles mettent aussi en avant des vitrines présentées sous la forme d’associations poursuivant un objet apparemment cultuel ou ésotérique, qui cachent souvent un réseau de personnes morales ou physiques qui se prêtent à des activités de toute autre nature. L’extrême diversité du phénomène, la multiplicité des mouvements et les différences observées quant à leurs effectifs entraînent en outre de grandes disparités dans leur mode d’organisation.

Les exemples portés à la connaissance de la Commission permettent cependant de dégager des traits dominants qui, avec des nuances liées à la particularité de chaque mouvement, se reproduisent. Le but est généralement d’obtenir une certaine reconnaissance publique pour la vitrine du mouvement et une garantie de clandestinité pour le réseau sur lequel il s’appuie.

A.— des structures pyramidales en réseau

Le contrôle du mouvement par ses dirigeants repose, dans la grande majorité des cas, sur des structures pyramidales en réseau. Il est ainsi possible de dégager un schéma type de l’organisation sectaire qui se décline, avec des variantes, en fonction de chaque situation. Cependant, à côté des groupes particulièrement représentatifs de ce schéma, il existe aussi des sectes qui ont mis en place des organisations originales et, à plusieurs égards, novatrices.

La présence de caractéristiques dominantes que l’on retrouve dans plusieurs organisations pose la question de l’existence d’une structure " intersectaire " qui serait chargée d’assurer la défense et la coordination des différents mouvements.

Plusieurs exemples de collaboration entre sectes ont été portés à la connaissance de la Commission qui, de son côté, a pu observer certaines similitudes dans le libellé des lettres qui lui ont été adressées en réponse au questionnaire qu’elle a envoyé aux principales sectes. En outre, plusieurs organes jouent ouvertement un rôle de concertation entre les sectes. Depuis plusieurs années, le Centre d’études sur les nouvelles religions (CESNUR)
– dirigé par M. Massimo Introvigne – constitue une tribune utilisée pour la défense du sectarisme. Il semble avoir été relayé par une nouvelle association créée en 1996, sous le nom d’" Omnium des libertés individuelles et des valeurs associatives ". Cette association, tout comme le CESNUR, a notamment été l’instigatrice d’une campagne de dénigrement des travaux réalisés par la précédente Commission d’enquête.

1.– L’organisation sectaire et ses variantes

Les annexes au rapport donnent des informations détaillées sur l’organisation des mouvements sectaires les plus représentatifs. Elles permettent de constater que, malgré la diversité des courants auxquels les sectes se rattachent et les différences notables constatées dans les activités qu’elles déploient, leur organisation repose sur des constantes que l’on retrouve, avec un degré de sophistication juridique inégal, dans la plupart des mouvements.

Les sectes implantées en France sont, en règle générale, l’émanation d’une " secte mère " dont le siège international est situé à l’étranger. Elles s’appuient souvent sur une structure fédérale et organisent leurs activités autour de trois branches : une branche reposant sur une structure associative chargée de propager la doctrine du mouvement ; une branche composée d’un ou plusieurs organes, associatifs ou non, dont l’activité comporte un caractère économique ; et une branche immobilière constituée de personnes morales qui servent de supports juridiques aux investissements immobiliers. Dans plusieurs cas, une structure spécialement dédiée au financement de la secte s’ajoute à ces trois branches. L’ensemble constitue les instances nationales de la secte dont l’implantation sur le territoire s’appuie sur un maillage plus ou moins serré d’établissements ou d’associations locales. Par ailleurs, l’organisation sectaire est relayée par un réseau économique parfois très étendu, prenant des formes diverses qui seront plus particulièrement étudiées dans la deuxième partie du rapport.

a) L’existence d’un siège international situé à l’étranger

Les Etats-Unis constituent le premier pays d’accueil des instances internationales des sectes qui y trouvent un droit et un système de pensée favorables à leur création et à leur développement. La Scientologie, les méthodes Avatar ou Landmark sont des créations américaines. Les Témoins de Jéhovah ont établi leur siège international outre-atlantique, de même que l’AMORC qui a choisi de domicilier sa structure internationale en Californie. Le Japon est également une zone de prédilection du sectarisme, et la Soka Gaikkaï, Mahikari et Moon y disposent de sièges internationaux. Les autres régions du monde concernées sont surtout l’Inde, le Brésil et certains pays européens comme l’Autriche, les Pays-Bas ou la Belgique. En outre, plusieurs sectes semblent attirées par les pays à fiscalité privilégiée, comme le Luxembourg ou la Suisse où l’on relève plusieurs sièges internationaux.

L’existence d’un siège international à l’étranger permet d’établir des liens juridiques et financiers entre la secte mère et son émanation française, et, le cas échéant, d’opérer des transferts de fonds parfois conséquents. Tel est notamment le cas de la Scientologie, de Mahikari, de la Soka Gakkaï ou de Moon. L’AMORC a reçu en mars 1993 un apport de 46 millions de francs de la " Supreme Grand lodge of the Ancient and mystical Order rosae crucis ", structure mère de la secte implantée en Californie, afin d’acquérir l’immeuble qu’elle occupe au 199, rue Saint-Martin à Paris. Bien qu’il soit moins connu, l’exemple de l’Eglise du Christ est révélateur des relations que peuvent nouer une secte internationale et son obédience française. L’Eglise du Christ de Paris est en effet membre d’une secte internationale domiciliée à Boston aux Etats-Unis, et reçoit des subventions de son organisation mère qui, en outre, prend en charge les 450.000 francs de salaire annuel perçu par le président de la branche française. En sens inverse, cette dernière verse chaque année un pourcentage de ses recettes à l’organisation américaine, de même qu’à l’organisation non gouvernementale Hope World Wide qui sert de vitrine humanitaire à la secte.

Certaines sectes, de création apparemment purement française, ne semblent pas disposer d’un siège à l’étranger. C’est semble-t-il le cas du Mandarom, de l’Office culturel de Cluny, de la Pentecôte de Besançon, de la Contre réforme catholique. L’absence de domiciliation officielle dans un pays étranger n’empêche cependant pas d’y créer éventuellement des implantations ou d’y ouvrir des comptes bancaires, comme on le verra lors de l’examen des aspects internationaux de la fraude sectaire.

b) La mise en place de structures fédérales

Les structures formant la secte sont assez fréquemment affiliées à une personne morale fédérative qui est la gardienne de l’unité du groupe et assure le contrôle de ses organes, parfois en leur imposant leurs statuts ou des prélèvements financiers.

Il existe notamment une Fédération chrétienne des Témoins de Jéhovah dont le rôle exact sera examiné plus loin. L’Union des églises de Scientologie regroupe les différentes " églises " scientologues qui ont adopté les statuts types établis par cette instance fédérale, et se conforment aux règles qu’elle a établies. La Soka Gakkaï dispose également d’une Union des associations cultuelles Soka du boudhisme Nichiren, et l’Office culturel de Cluny s’est constitué sous la forme d’une fédération intitulée Fédération d’animation globale, qui regroupe des associations avec lesquelles elle passe des conventions prévoyant des échanges de services, de matériel ou de personnel et des mouvements financiers, chaque membre versant à la fédération un pourcentage de ses recettes. De même, les différentes implantations de la Pentecôte de Besançon sont regroupées au sein d’une Fédération évangélique missionnaire.

c) Le recours à des structures dédiées aux investissements immobiliers

Les sectes disposent d’un patrimoine immobilier important qui sera examiné dans la deuxième partie du rapport. Ce patrimoine n’appartient pas toujours aux associations qui constituent les organes dirigeants de la secte, et plusieurs mouvements ont recours à des montages juridiques spécifiques qui passent, dans la majorité des cas, par la constitution d’une société civile immobilière (SCI).

Il existe de nombreux exemples de SCI propriétaires et gestionnaires des biens immobiliers utilisés par des sectes. Jusqu’en 1978, certains des biens immobiliers des Témoins de Jéhovah étaient juridiquement détenus par la SCI Villa Guibert. Le patrimoine immobilier de Moon est rattaché à plusieurs sociétés, comme les SCI Le Nouveau Belvédère et Internationale Vredesstichting. Certains immeubles de Krishna ont été achetés par l’intermédiaire de deux SCI. L’utilisation de SCI a également été relevée pour Invitation à la vie, Energo Chromo Kinèse, la Fraternité blanche universelle, Mahikari, l’Office culturel de Cluny et la Pentecôte de Besançon. L’AMORC a créé la SCI Pernelle afin d’acquérir des locaux en vue de leur utilisation par ses sections locales implantées sur le territoire.

Les associations sectaires peuvent être locataires de biens appartenant à des sociétés civiles immobilières auxquelles elles versent un loyer. L’existence de loyers n’est pas incompatible avec un contrôle, par l’organisation, de ces sociétés qui peuvent être détenues directement ou par l’intermédiaire de personnes " écrans ". On peut en effet s’interroger sur le montant des loyers payés par certaines sectes. L’Association de l’Esprit Saint pour l’unification du christianisme mondial, instance française de Moon, a par exemple déclaré payer un loyer annuel de 20.700 francs pour son siège au 9-11, rue de Châtillon dans le 14ème arrondissement de Paris, appartenant à la SCI Vredesstichting. Ce loyer semble particulièrement bon marché pour les quelque 1.200 m2 de bureaux et de salles de conférence ainsi mis à la disposition de la secte.

d) La présence d’une branche économique

La quasi totalité des sectes examinées dans le présent rapport ont une activité économique, certes d’importance inégale et dont le caractère lucratif n’est pas toujours établi, mais directement exercée par l’organisation sectaire elle-même, indépendamment du réseau d’entreprises dont elle peut par ailleurs disposer. Ces activités économiques sont souvent assurées par les associations constituant les organes centraux de la secte, notamment à l’occasion de leurs activités " spirituelles ", lorsque ces dernières passent par la vente de prestations ou de produits. Dans de nombreux cas, les sectes ont choisi de créer des structures commerciales distinctes, spécifiquement chargées de poursuivre un but économique. Ces structures sont la face lucrative de la secte qui peut par ailleurs, par l’intermédiaire de ses associations, continuer à avoir des activités économiques directes, notamment par la vente d’ouvrages et d’objets ou la facturation de stages, cours, conférences ou autres prestations.

Le Patriarche, récemment rebaptisé Dianova, constitue l’exemple le plus représentatif de structures commerciales sectaires. M. Lucien Engelmajer, fondateur de la secte, a bâti un véritable empire économique formé de plusieurs sociétés commerciales détenues par l’association portant son nom, et notamment une société de restauration rapide, la SA New Lunch, regroupant huit établissements en France sous l’enseigne " Fiesta paella " ou " Paella store ole ". Certaines de ces sociétés sont encore en activité. On retrouve une organisation similaire pour l’Antroposophie dont les activités économiques sont assurées par de nombreuses sociétés de distribution ou des écoles réparties dans plusieurs départements.

Une partie des activités lucratives de la Scientologie a été confiée à la SARL Scientologie espace librairie qui, domiciliée à la même adresse que les instances nationales de la secte, vend notamment les ouvrages de L.R.Hubbard et sous-loue les locaux utilisés par plusieurs églises locales. La même séparation est observée dans le cas de l’AMORC qui dispose, à travers l’Espace AMORC implanté à Paris, d’un luxueux centre de conférences loué à des clients parfois prestigieux et géré par la société Diffusion rosicrucienne créée à cet effet par la secte. Cette dernière a également déclaré, sous l’appellation Domaine de l’enfance et des loisirs, une association spécifiquement chargée des activités d’hébergement d’enfants. L’association mère française entretient des relations financières régulières avec ses satellites économiques. Jusqu’en 1994, elle versait une subvention à la société Diffusion rosicrucienne à laquelle elle continue à acheter des fournitures et des impressions pour environ 3,5 millions de francs chaque année. Elle verse également au Domaine de l’enfance et des loisirs une subvention qui a atteint 1,5 million de francs en 1997.

D’une manière générale, les sectes ont tendance à constituer des structures juridiques distinctes chargées d’assurer l’édition de leurs publications. C’est notamment le cas du Graal, des Roses Croix d’or et de l’AMORC. Par ailleurs, des sociétés peuvent être créées pour assurer la fabrication et la commercialisation de produits de la secte. Un des dirigeants d’Energo chromo kinèse, M. Patrick Véret, a créé la société Nutrition énergétique des organes et des méridiens (NEOM) pour fabriquer et vendre les produits paramédicaux de la secte. De même, Krishna dispose d’une structure dénommée Hare Krishna qui vend notamment des produits végétariens.

Tradition Famille Propriété, association mère de la secte du même nom, a recouru à une association distincte, dénommée Avenir de la culture, à laquelle elle a confié les activités de démarchage nécessaires à la diffusion de ses préceptes. Les deux associations entretiennent des relations étroites, le président et le trésorier de chacune d’entre elles étant salariés par l’autre.

La face lucrative de Mahikari est constituée par trois sociétés dans lesquelles la secte japonaise détient des participations : une société de droit étranger située au Luxembourg (LH Yoko Shuppan Europe SA), une agence de voyage (HIKARI France) et une SARL spécialisée, d’après sa déclaration au registre du commerce, dans la formation et l’organisation de congrès (LH France). Cette dernière est détenue par l’organisation japonaise de la secte et par la société implantée au Luxembourg où elle verse d’importants honoraires (1,2 million de francs en 1995). L’agence de voyage a été constituée pour les besoins de l’association Sukyo Mahikari, organe central de la branche française, dont elle constitue le prolongement, l’ensemble de ses clients étant formé d’adeptes pour lesquels elle organise des voyages au Luxembourg ou au Japon. Invitation à la vie a également créé une agence de voyage qui, pendant plusieurs années, a organisé les " pèlerinages " pour les adeptes.

La Soka Gakkaï a créé une société chargée d’exercer ses activités lucratives. Il s’agit de la Société européenne de restauration et de services détenue à 99 % par la secte, qui commercialise ses supports " pédagogiques ".

 

e) La possibilité de structures de financement spécifiques

Certaines sectes ont mis en place des structures spécifiques afin d’assurer le financement de leur organisation. Trois exemples ont été portés à la connaissance de la Commission. Même s’ils sont peu nombreux, ils montrent que les sectes peuvent recourir à des montages juridiques qui atteignent un degré de sophistication important.

Les Témoins de Jéhovah disposent, on va le voir, d’une association chargée d’assurer la péréquation des dons qui sont versés aux différentes implantations locales de la secte.

Le Patriarche-Dianova qui fait partie des mouvements économiquement les plus actifs, a créé en 1993 un holding qui a investi dans plusieurs structures constituant le réseau économique du mouvement. L’association L. Engelmajer et ses filiales sont en effet propriétaires d’une société holding luxembourgeoise de participation sociale et financière, la SOPASOFIE. D’après les informations figurant dans le rapport de la Cour des comptes sur le dispositif de lutte contre la toxicomanie (), le capital social de ce holding atteignait 10 millions de francs, réparti entre l’association Lucien Engelmajer qui détiendrait 15 % des actions, les associations françaises, suisses, portugaises et espagnoles constituant la secte, et les associations contre le Sida qui lui sont liées.

Le réseau de l’Anthroposophie dispose également de deux structures de financement à travers la Nouvelle économie fraternelle et la Société financière de la nouvelle économie fraternelle. La première est une association formée afin d’expérimenter des " relations d’entraide économique et financière se fondant, en particulier, sur une circulation transparente de l’argent, éclairée par une conscience altruiste ". La seconde est un organisme bancaire créé sous la forme d’une société coopérative anonyme affiliée à la Caisse centrale de crédit coopératif. Agréée par la Banque de France en 1988, elle est habilitée à recevoir du capital et de l’épargne et peut consentir des prêts. L’association reçoit des cotisations, des dons et des subventions (émanant de la Fondation de France, de la Fondation d’entreprise de la MACIF ou de la Délégation générale à l’innovation et à l’économie sociale). Ses ressources annuelles, estimées à 800.000 francs en 1994, lui permettent d’affecter une subvention d’équilibre à la société financière. Elles sont également utilisées pour accueillir les demandeurs de crédits, et financer l’étude et l’accompagnement de leurs projets. Il s’agit d’une aide préalable destinée à assurer la réussite des programmes pour lesquels la société financière décide d’accorder des prêts. Le capital social de cette dernière atteignait, à la fin de 1994, 9,3 millions de francs, et, à la même date, une augmentation de capital de 15 millions de francs était envisagée. La banque proposait deux produits financiers : les comptes de dépôts à terme et le livret " NEF-crédit coopératif " dont les caractéristiques étaient proches du livret A de la Caisse d’épargne. Elle disposait en 1994 d’un encours d’épargne de 13 millions de francs pour les comptes à terme et de 10 millions de francs pour les livrets.

2.– Les montages juridiques les plus représentatifs

Les montages juridiques mis en place par plusieurs sectes sont particulièrement représentatifs et méritent un développement particulier.

a) La Contre réforme catholique ou l’exemple d’une organisation sectaire complète

Répertoriée dans le rapport de la précédente commission d’enquête sous l’appellation " Petits frères et petites sœurs du Sacré-Cœur ", la Contre réforme catholique est une secte de faible importance d’un point de vue économique et financier. Pour autant, son organisation reproduit fidèlement le modèle sectaire type. Il s’agit par conséquent d’un exemple de " petite " secte particulièrement soucieuse de son organisation.

Elle est en effet organisée en quatre structures qui, toutes, sont domiciliées à la même adresse, à savoir la Maison Saint Joseph à Saint-Parres-les-Vaudes dans l’Aube. Elle dispose, en premier lieu, de deux associations chargées d’assurer son activité de prosélytisme : la Contre réforme catholique du XXème siècle, relayée par les Amis de la Communauté du Sacré Cœur de Saint-Parres-les-Vaudes. Par ailleurs, ses biens immobiliers sont regroupés dans la SCI La Maison Saint Joseph. La secte a enfin formé une SARL, L’imprimerie Saint Joseph, afin d’assurer la publication et la diffusion des œuvres de son fondateur, M. Georges de Nantes.

Les quatre organes de la secte établissent des relations financières croisées. Destinataire du produit des ventes et des abonnements, l’Association des Amis reverse ses ressources (entre 0,8 et 1,4 million de francs selon l’exercice) à la Contre réforme qui, pour sa part, attribue une subvention d’équilibre à la SARL (entre 0,6 et 1,1 million de francs).

b) La Scientologie ou l’exemple d’une organisation pyramidale particulièrement poussée

L’organisation de la Scientologie est aujourd’hui devenue un sujet d’étude, et plusieurs ouvrages portant sur la secte lui consacrent des développements particuliers. On a notamment beaucoup écrit sur les instances internationales du mouvement auxquelles il est généralement attribué une ambition planétaire et l’utilisation de techniques de renseignement redoutables. La Commission n’a pas pu vérifier l’existence de telles pratiques qui, au demeurant, n’entraient pas directement dans son objet. En revanche, elle a pu constater le degré de sophistication de l’organisation scientologue.

Dans chacun des pays où elle est implantée, la Scientologie assure un maillage très serré du territoire destiné à assurer le fonctionnement pyramidal de la secte.

De la base aux instances nationales, il existe trois niveaux de structure dont le rôle et la place au sein de l’organisation sont strictement définis par un règlement interne.

·  Les missions de la Scientologie

Les missions constituent l’outil de base de la propagation de la secte. Elles sont chargées de s’adresser aux personnes qui n’ont jamais eu de contact avec cette dernière, et ne peuvent proposer que les prestations élémentaires de la Scientologie. Elles sont cédées à des adeptes confirmés sous la forme d’un contrat de franchise qui prévoit le reversement d’un pourcentage (10 % en général) du chiffre d’affaires de la mission. Les missions sont liées entre elles par des relations fédérales, et sont placées sous l’autorité d’un bureau territorialement compétent, comme le Bureau de SMT installé à Copenhague, en charge de l’ensemble de l’Europe. Elles sont également surveillées par le Bureau international des missions scientologues dont le siège est à Los Angeles, et qui est chargé de leur apporter conseil et assistance.

Lorsqu’elles n’ont pas les moyens d’assurer l’enseignement de R. Hubbard, les missions renvoient leurs adeptes vers les églises, et touchent une commission sur les revenus perçus par ces dernières sur chaque nouvelle recrue.

 

·  Les églises de Scientologie

Les églises forment les principales instances de la Scientologie dont elles coordonnent l’ensemble des associations présentes sur leur territoire de compétence. Elles dispensent les cours jusqu’au niveau V, et restent soumises aux directives transmises par l’organisation internationale de la secte. Elles sont traditionnellement découpées en plusieurs sections (finances, éthique, comité de surveillance…).

·  Les celebrity centers

Les celebrity centers servent de vitrines à la Scientologie. Ils s’adressent aux adeptes ou futurs adeptes pour lesquels la secte entend réserver un traitement particulier, justifié par leur position sociale, et notamment par leur appartenance au monde du spectacle ou des affaires. Ces centres dispensent des cours de niveau V, ainsi que des formations spécifiques destinées aux chefs d’entreprise. Les membres des celebrity centers sont mis en avant par la secte pour cautionner son existence et sa réputation.

La Scientologie disposait d’un celebrity center en France, installé à Paris. Il a fait l’objet d’un redressement fiscal pour activité lucrative non déclarée et le Tribunal de commerce de Paris a prononcé sa liquidation judiciaire par un jugement du 10 juillet 1997.

La branche française de la Scientologie a subi une restructuration en 1996 qui a abouti à une multiplication des structures. Chaque église de Scientologie a été dédoublée en, d’une part, une association dénommée " Eglise de Scientologie " chargée des rites et des cérémonies et qui prétend profiter du statut d’association cultuelle, et, d’autre part, une association intitulée " Association spirituelle de l’Eglise de Scientologie " chargée d’assurer certaines prestations proposées par la secte (cours de dianétique, auditions…). Ce dédoublement existe ainsi dans cinq villes : Paris, Lyon, Saint-Etienne, Clermont-Ferrand et Angers. En outre, les associations revendiquant le statut cultuel ont été regroupées dans une " Union des églises de France ". Parallèlement, il existe toujours quatre missions scientologues implantées à Bordeaux, Toulouse, Nice et Marseille, qui constituent des associations autonomes, chargées d’assurer les services de base. Les centres de dianétique forment les établissements locaux de la secte, dénués de personnalité morale et rattachés à une église. Enfin, la SARL Scientologie Espace librairie a été créée pour regrouper les aspects les plus directement lucratifs des activités de la secte (vente de produits et d’ouvrages). Cette société dispose d’un établissement secondaire auprès de chaque église de province et assure ainsi, à travers la commercialisation des produits scientologues, la liaison entre ces différentes associations.

Pour tenter d’être complet, il faut ajouter que certaines activités périphériques ont été confiées à des associations spécifiques créées à cet effet, comme " Non à la drogue, oui à la vie " ou les centres Narconon, qui constituent la vitrine présentée comme " caritative ", et la concrétisation de son implication dans la lutte contre la drogue.

Cette organisation aboutit à un cloisonnement des structures qui entretient l’illusion d’une séparation des activités. La branche spécifiquement prosélyte est constituée par les églises et les associations spirituelles. Les activités économiques sont ventilées entre d’une part les associations spirituelles et les missions pour ce qui concerne les prestations " intellectuelles " tournant autour de la diffusion de la dianétique, et d’autre part la SARL pour la vente de produits. Cette dernière sous-loue également des immeubles aux associations. Une telle séparation a l’avantage de créer une étanchéité entre les différentes structures, cette démarche n’étant pas propre à la Scientologie. C’est l’argument qui a été utilisé par la présidente d’une église scientologue qui, devant la Commission, a déclaré ne rien connaître des activités de l’association spirituelle pourtant installée à la même adresse, et dont elle est membre, et a par conséquent refusé de répondre à certaines questions.

La restructuration de la Scientologie ne doit tromper personne. Au-delà des découpages juridiques, les associations scientologues restent soudées par une communauté de locaux, de pratiques et d’intérêts, et entretiennent des liens financiers étroits qui seront examinés plus loin.

c) Les Témoins de Jéhovah ou l’exemple d’un montage associatif intégré

Le mouvement des Témoins de Jéhovah repose sur une fédération et cinq associations qui constituent les instances nationales de la secte, ainsi qu’un réseau d’associations locales qui représentent ses implantations sur le territoire. Ces différentes personnes morales sont organisées dans un souci de sectorisation des activités qui reproduit le schéma sectaire classique. Néanmoins, la confusion des rôles qui caractérise la répartition des compétences entre les associations nationales, de même que les relations juridiques et financières étroites qu’elles entretiennent, font de la secte une organisation particulièrement intégrée.

 

·  Une sectorisation des activités

Les Témoins de Jéhovah s’appuient sur un réseau d’associations locales qui assurent les activités de la secte dans leur zone de compétence, et sont notamment propriétaires de plusieurs centaines de lieux de réunion.

La secte vient également de créer une Fédération chrétienne des Témoins de Jéhovah, déclarée le 15 février 1999, qui a pour objet de regrouper les associations constituant la secte, afin de contribuer à la diffusion de son message et à la défense de ses adeptes. Cette structure est, d’un point de vue financier et comptable, une coquille vide qui ne reçoit aucune recette autre que les cotisations de ses membres, et ne semble disposer d’aucun actif.

Les cinq associations constituant les instances nationales du mouvement sont réparties entre Boulogne-Billancourt dans les Hauts-de-Seine et Louviers dans l’Eure. La première adresse correspond généralement au siège social des associations, tandis que la seconde est le centre national de la secte qui y dispose d’un complexe administratif, industriel et d’hébergement conséquent.

L’Association cultuelle des Témoins de Jéhovah de France est l’association nationale spécifiquement chargée des activités de prosélytisme. Elle supervise et dirige les Témoins qui assurent la diffusion du message de la secte, et organise les grands rassemblements. Elle prend également en charge les frais relatifs à l’activité des " prédicateurs " qu’elle entretient, notamment en finançant leurs frais de déplacement, en leur assurant une véritable couverture sociale en cas de maladie ou de retraite.

L’importance acquise par le centre de Louviers dans la diffusion du message de la secte et la concentration d’adeptes qui y sont réunis ont justifié la création d’une association particulière dénommée " Communauté chrétienne des Béthélites ". Cette association a pour objet de concourir à la propagation des principes jéhovistes par la parole et par l’édition, le mouvement ayant mis à sa disposition les installations industrielles, et notamment d’imprimerie, dont il est propriétaire. Elle est également chargée de préserver et de défendre le cadre de vie du complexe de Louviers qui constitue un centre de passage et d’hébergement important accueillant 20 " invités " par mois et 10.000 " visiteurs " par an. En outre, elle prend en charge les frais d’entretien de ses membres permanents.

L’Association Les Témoins de Jéhovah est le noyau dur de la secte. Elle est chargée de ses activités d’édition, d’impression et de diffusion, et sert de support juridique à l’activité commerciale et industrielle de l’imprimerie installée dans l’Eure (). Elle est également propriétaire de la majeure partie du patrimoine mobilier et immobilier de l’organisation, et notamment de la plupart des biens qu’elle possède à Louviers.

Le reste des immeubles des Témoins de Jéhovah, hors patrimoine détenu par les associations locales, appartient à la quatrième association à compétence nationale, l’association Villa Guibert, qui a remplacé en 1978 la société civile immobilière du même nom. Cette dernière était initialement le support juridique des biens immobiliers de la secte. L’Association Villa Guibert a pour objet de mettre à la disposition des autres associations du groupe des terrains et bâtiments. Comme on le verra dans la deuxième partie du rapport, l’association a vendu une grande partie de ces biens. En outre, la construction du complexe de Louviers sous l’égide de l’Association des Témoins de Jéhovah a entraîné une concentration de l’actif immobilier sur les comptes de cette entité. Destiné à regrouper l’ensemble des instances nationales de la secte dont il constitue une vitrine et un centre d’importance européenne, ce site représente en effet l’investissement le plus important.

Enfin, l’Association pour la construction et le développement des lieux de culte des Témoins de Jéhovah, déclarée en 1990, forme la dernière pierre de l’édifice. Elle a été créée afin de permettre le financement de la construction des " salles du royaume ", c’est-à-dire des lieux de réunion des associations locales. A cet effet, elle centralise une partie des dons recueillis par les implantations territoriales de la secte. Ces dons sont transférés, sous forme de prêts accordés par les associations locales, à l’association nationale. Cette dernière les utilise en accordant, à son tour, des prêts aux mêmes associations locales pour financer leurs projets immobiliers. L’Association pour la construction et le développement des lieux de culte est donc, vis-à-vis des associations locales, à la fois détentrice d’une créance (112,1 millions de francs au 31 août 1998), et redevable d’une dette (44,2 millions de francs à la même date). Elle peut également financer l’achat des matériaux nécessaires à de telles constructions, et offre un soutien technique à travers 11 " comités de construction rapide ", composés de 5 à 6 membres chargés d’organiser et de superviser les opérations immobilières locales. L’association assume ainsi un véritable rôle de péréquation financière par l’intermédiaire d’un " fonds de secours et de solidarité ", alimenté par des dons émanant de la base de la secte et destiné à aider les investissements locaux.

On retrouve au sein des compétences de ces cinq associations le découpage entre les quatre branches de l’organisation sectaire type. L’Association cultuelle et la Communauté des Béthélites assurent plus particulièrement les activités de prosélytisme, tandis que l’Association Les Témoins de Jéhovah constitue la branche économique et une partie de la branche immobilière formée par ailleurs de la Villa Guibert. L’Association pour la construction et le développement les lieux de culte est en quelque sorte la " banque " de la secte dont elle assure la répartition des moyens de financement.

·  Une certaine confusion des rôles

La répartition des rôles entre les différentes associations de Témoins de Jéhovah qui vient d’être décrite repose sur les caractéristiques dominantes des fonctions assignées à chacune de ces structures. L’organisation jéhoviste est cependant trop complexe pour être réduite à un schéma aussi clair. Dans les faits, chaque association peut être amenée à intervenir dans un domaine extérieur à sa spécialisation, et la secte entretient sur ce point une indéniable confusion des rôles.

Il est, en premier lieu, intéressant de noter que les dons manuels qui constituent le fondement de la puissance financière de la secte sont perçus par trois associations différentes (l’association cultuelle, la communauté des Béthélites et l’association dédiée à la construction et au développement des lieux de culte). La secte n’a donc pas créé un réceptacle unique de la générosité de ses adeptes. En l’occurrence, depuis la taxation des offrandes perçues par l’Association Les Témoins de Jéhovah, les dons ont été réorientés vers les trois associations qui viennent d’être mentionnées qui, elles, n’ont pas fait l’objet d’un contrôle fiscal. De ce point de vue, la sectorisation des structures présente l’avantage de créer une étanchéité entre entités juridiques, y compris vis-à-vis de l’administration.

De même, le patrimoine immobilier n’est pas centralisé dans les mains d’une seule structure, et il appartient rarement à la personne morale qui l’utilise directement, comme le montre l’exemple du complexe de Louviers, propriété de l’Association des Témoins de Jéhovah, mais mis à la disposition des Béthélites. En outre, certaines activités de la secte peuvent être assurées par l’ensemble des structures qui la forment. Les importantes contributions que la branche française apporte aux " missions " étrangères sont, par exemple, assurées par toutes les associations nationales qui régulièrement versent des subventions à l’étranger. Seule la Villa Guibert, financièrement moins puissante, ne semble pas participer à cette aide.

Bien qu’elle se présente comme exclusivement cultuelle, l’Association cultuelle des Témoins de Jéhovah de France participe aux opérations d’investissement de la secte, notamment en finançant des travaux nécessaires aux rassemblements des adeptes, comme, par exemple, la construction d’un parking à Bordeaux. Elle peut également être amenée à avoir des activités financières en octroyant des prêts aux autres associations. En sens inverse, l’Association Les Témoins de Jéhovah qui forme la branche économique et immobilière intervient dans l’activité qualifiée de cultuelle. Elle a notamment créé un fonds d’entraide destiné à aider les anciens membres du centre de Louviers, vitrine " spirituelle " de l’organisation. Elle joue par ailleurs un rôle important dans le financement des autres associations auxquelles elle consent des prêts.

Ces exemples montrent que l’organisation des Témoins de Jéhovah constitue un tout. Les différentes personnes morales qui la forment peuvent difficilement en être extraites et examinées indépendamment des activités poursuivies par les autres.

·  Des relations juridiques et financières étroites

Les instances nationales des Témoins de Jéhovah ont en effet passé entre elles plusieurs conventions.

Il existe, en premier lieu, une " convention de mise en commun d’activités " qui lie l’Association les Témoins de Jéhovah, l’Association cultuelle, la Communauté des Béthélites et l’Association pour la construction et le développement des lieux de culte. Signée le 2 juillet 1997, cette convention quadripartite stipule que les associations " décident de mettre en commun une partie de leur activité afin de favoriser toutes les opérations utiles et nécessaires à l’exercice de leurs missions ". Elle prévoit notamment que les membres de la Communauté pourront exercer leurs fonctions dans les autres associations signataires, et que l’Association les Témoins de Jéhovah effectuera pour le compte d’une autre partie à la convention " des transports en France et à l’étranger ".

Par ailleurs, depuis 1996, les relations entre l’Association Les Témoins de Jéhovah et la Communauté des Béthélites sont régies par une convention annuelle qui prévoit que cette dernière " s’engage à affecter (à la première) un certain nombre de Béthélites en fonction des circonstances, la tâche à accomplir étant nécessairement liée à la production et à la diffusion des périodiques, brochures, livres religieux et des bibles ". Elle ajoute que les membres de la Communauté ainsi mis à disposition continueront à être placés sous les ordres du responsable de cette dernière qui procédera notamment à leur affectation. Il est également précisé que la durée de la mise à disposition ne peut excéder les horaires de travail habituels (huit heures par jour du lundi au vendredi). Cette convention a pour but d’organiser les activités d’édition de l’imprimerie de Louviers, juridiquement rattachées à l’Association les Témoins de Jéhovah, mais effectivement réalisées par les membres de la Communauté. Elle contient plusieurs indications précieuses sur la réalité de l’objet de cette dernière, et notamment des indices sur les rapports de subordination qui lient le président de l’association à ses membres. Ces indices apportent un éclairage utile sur le contentieux ouvert entre la secte et l’administration au sujet de l’application du droit du travail, contentieux qui sera évoqué dans la dernière partie du rapport.

La Commission a également relevé plusieurs conventions de mise à disposition de biens mobiliers ou immobiliers. La Communauté des Béthélites utilise des locaux et du matériel qui appartiennent à l’Association Les Témoins de Jéhovah, en application d’un contrat de prêt à usage passé en 1996. Elle a conclu une convention similaire avec l’Association Villa Guibert pour des immeubles situés à Incarville, dans l’Eure. Enfin, l’Association Villa Guibert et l’Association Les Témoins de Jéhovah ont octroyé le même avantage à l’Association cultuelle, afin qu’elle ait l’usage de locaux situés à Boulogne et à Louviers.

Ces liens juridiques sont complétés par des mouvements comptables et financiers croisés. Les associations nouvellement créées ont parfois bénéficié d’apports consentis par des structures plus anciennes. C’est notamment le cas de l’Association pour la construction et le développement des lieux de culte qui, au moment de sa constitution, a reçu de l’Association chrétienne des Témoins de Jéhovah un apport de 3,6 millions de francs en numéraire et une créance de 108,1 millions de francs sur les associations locales. Cette structure de financement de la secte, dépositaire d’une partie importante des dons, est devenue l’organe prêteur du groupe. Outre les prêts qu’elle octroie aux associations locales pour leurs salles de réunion, elle a consenti, d’une part, un prêt total de 40 millions de francs à l’Association Les Témoins de Jéhovah pour participer à la construction du complexe de Louviers, et, d’autre part, un prêt de 17,5 millions de francs à la Villa Guibert pour l’entretien du parc immobilier dont elle est propriétaire. La Commission a également relevé un prêt de 5 millions de francs consenti par l’Association cultuelle à la Communauté des Béthélites.

Le cas des Témoins de Jéhovah constitue un exemple parmi d’autres qui montre l’impossibilité d’examiner la situation juridique d’une association sectaire indépendamment de celle des entités qui lui sont liées. En particulier, la Commission appelle l’opinion publique, l’administration ou le juge à la prudence et à la vigilance dans les conséquences qu’ils

peuvent tirer de l’objet " cultuel " que certaines associations se sont donné. L’objet de la Communauté des Béthélites ne peut pas être examiné au regard de ses seuls statuts. Un tel examen doit englober les activités issues des relations conventionnelles ou financières qui lient cette association aux autres branches de la secte. Comme on va le voir plus loin, tous ces éléments doivent entrer en ligne de compte dans l’instruction des demandes de reconnaissance officielle du caractère cultuel de plusieurs associations de Témoins de Jéhovah.

 

3.– Les structures particulières

Des sectes de création plus récente ou d’inspiration étrangère plus marquée sont organisées selon des modalités qui diffèrent du schéma sectaire classique. Elles reposent sur une organisation éclatée en de nombreuses implantations dont les liens ne sont pas apparents.

Il existe tout d’abord des mouvements sectaires d’obédience américaine qui ne présentent pas de structures centrales officiellement déclarées. Par exemple, la méthode Avatar ne dispose d’aucune association ou entité nationale susceptible de représenter sa branche française. C’est également le cas de Landmark qui n’a pas jugé utile de constituer une structure représentative de son implantation française, et n’apparaît, à un niveau central, qu’à travers une société de droit étranger, Landmark education international.

Il s’agit de deux sectes spécialisées dans les techniques de développement personnel qui agissent par l’intermédiaire d’un réseau de personnes physiques ou d’associations parfois de fait. Une telle organisation est particulièrement adaptée au système de franchise mis au point par ces sectes, et dont on peut considérer qu’il constitue une forme moderne et particulièrement efficace du sectarisme. La méthode Avatar est en effet propagée par une soixantaine de " masters ", c’est-à-dire de personnes qui ont suivi une formation spécifique aux Etats-Unis à l’issue de laquelle elles ont obtenu un diplôme et acquis une licence d’exploitation leur permettant d’utiliser la méthode en France, moyennant le versement d’un pourcentage de leur chiffre d’affaires à la société mère américaine. Un dispositif identique est utilisé par Landmark, notamment pour dispenser le cours intitulé le " Forum ", du nom du stage emblématique de cette secte américaine.

 

L’absence de structures centralisées n’interdit pas une organisation en forme pyramidale. Même si les lieux de pouvoir sont beaucoup plus difficiles à détecter, et les circuits de décision moins repérables, certains adeptes peuvent être amenés à jouer un rôle de direction pour une zone géographique donnée.

La secte fondée et dirigée par M. Serge Marjollet et connue sous le nom de Prima Verba est un autre exemple d’organisation sectaire novatrice. Elle préfigure peut-être la forme que le phénomène est appelé à prendre dans les années qui viennent. Cette secte s’appuie en effet sur une nébuleuse de petites structures dispersées (associations, SARL ou sociétés civiles) qui n’entretiennent des liens qu’à travers les personnes physiques qui les dirigent ou les administrent, et dont le chiffre d’affaires (), considéré indépendamment de celui des autres, n’attire pas l’attention. Il s’agit donc de mouvements qui choisissent de ne pas avoir pignon sur rue pour garantir l’opacité de leur action.

Alors que des mouvements comme les Témoins de Jéhovah ou la Scientologie ont déclaré plusieurs associations nationales pour lesquelles ils souhaitaient obtenir une reconnaissance officielle, les exemples qui viennent d’être cités montrent que certaines sectes développent une stratégie inverse. Eloignées de tout souci de reconnaissance publique, elles préfèrent la discrétion, voire la clandestinité. Cette divergence d’attitudes met en lumière les deux objectifs, apparemment contradictoires, de l’organisation sectaire.

B.— les buts recherchés

Les montages juridiques utilisés par les organisations sectaires permettent de concilier deux objectifs. Ils mettent en avant des structures qui, sous un habillage religieux, fondent la revendication de reconnaissance publique qui anime la majorité des sectes. Ils laissent en revanche dans l’ombre le réseau qui gravite autour de la " vitrine cultuelle ". Ces deux buts, apparemment contradictoires, coexistent dans la plupart des mouvements, à l’exception notable des structures éclatées qui ont été évoquées plus haut.

 

1.– La recherche d’une reconnaissance publique pour la vitrine de la secte

Le découpage de l’organisation en plusieurs structures permet d’isoler, on l’a vu, une ou plusieurs associations chargées de la propagation du message " religieux " qui accompagne, dans la plupart des cas, le discours et les pratiques sectaires. Sont ainsi mises en avant des associations présentées comme cultuelles, tandis que les aspects d’ordre économique et financier qui constituent pourtant souvent une part importante de l’activité de la secte, sont renvoyées à des structures périphériques plus discrètes.

L’organisation des Témoins de Jéhovah est révélatrice d’une volonté d’adapter les statuts de plusieurs de ses structures aux canons de l’association cultuelle traditionnelle. L’organigramme de la secte, tel qu’il a été décrit plus haut, résulte en effet de modifications statutaires successives. La secte a, dans les années 1980, procédé à un changement des statuts de ses instances nationales afin de tenter de les mettre en conformité avec les critères de l’association cultuelle. Cette tentative s’inscrivait dans le cadre d’un contentieux qui sera examiné ci-après, portant sur le refus, opposé par l’administration à la secte, du bénéfice d’un legs. En 1991, est déclarée l’Association cultuelle les Témoins de Jéhovah de France qui, par ses statuts, se considère comme régie par la loi du 9 décembre 1905. En 1996, afin de doter les membres de la secte réunis à Louviers d’une personne morale spécifique, les Témoins de Jéhovah ont créé, on l’a vu, une nouvelle association dont l’objet statutaire est exclusivement cultuel, et qu’ils rattachent également à la loi précitée. La même présentation a enfin été utilisée pour la fédération déclarée en janvier 1999.

Ces modifications statutaires ont pour objectif de permettre à la secte de bénéficier des avantages, notamment fiscaux, qui s’attachent aux associations régies par la loi de 1905. Ce régime, de même que l’enjeu contentieux et symbolique qu’il présente, seront étudiés plus en détail dans la suite du rapport.

La Commission a relevé plusieurs sectes qui recourent à un procédé similaire. La Scientologie présente ses églises et ses missions comme des associations régies par la loi de 1905. Il en est de même, par exemple, pour le Mandarom, Moon ou Sahaya Yoga.

Dans le même ordre d’idée, certaines sectes prétendent ouvertement remplir les conditions requises pour constituer une association d’utilité publique. L’association Invitation à la vie a ainsi fait part de son souhait d’obtenir une telle reconnaissance, et précisé qu’elle comptait adapter ses statuts à cette fin. L’AMORC a également indiqué que, depuis une modification récente de ses statuts, son fonctionnement lui semblait très proche de celui d’une association reconnue d’utilité publique. A travers ces exemples, la Commission voit, de la part des sectes concernées, la reconnaissance implicite de l’existence d’objectifs et de pratiques passées moins présentables que, à elle seule, une modification statutaire ne suffit pas à faire disparaître. Elle tient en effet à rappeler, s’il en était besoin, que l’utilité publique est accordée par décret en Conseil d’Etat, et n’est donc pas un régime simplement déclaratif.

L’habillage religieux utilisé par les sectes ne doit tromper personne. Le caractère exclusivement cultuel des associations prétendues telles reste toujours à démontrer au cas par cas. En outre, à supposer que ce caractère soit établi, les structures concernées restent liées à des entités qui poursuivent un but plus matériel, et font partie d’un groupe bien soudé duquel il est dangereux de les extraire.

2.– Le maintien de la clandestinité du réseau sectaire

Le morcellement des activités de la secte entre plusieurs personnes morales présente l’avantage d’assurer l’étanchéité de ses secteurs d’intervention. Suite aux différents redressements fiscaux dont elle a fait l’objet pour activité lucrative non déclarée, la Scientologie a procédé, on l’a vu, à sa restructuration. Ces redressements et les actions en justice qui les ont suivis risquaient, en effet, de mettre fin à ses activités en France. Cette réorganisation, outre le fait qu’elle a permis à la branche associative d’échapper, pour le moment, aux impôts commerciaux et à la secte dans son ensemble de continuer d’exister, rend plus difficile la preuve du caractère lucratif des activités des églises et des missions scientologues. L’Eglise du Christ est, on l’a vu également, dans une position comparable, l’activité ouvertement lucrative de la secte ayant été confiée à une association distincte chargée d’assurer la vente des livres, fascicules et cassettes vidéo.

Le rattachement de la propriété des biens immobiliers à des personnes spécifiques participe de la même démarche, et contribue à l’opacité de l’organisation. Les sociétés civiles immobilières (SCI) sont souvent utilisées comme un moyen d’acquérir un patrimoine de manière masquée. Les liens entre ces sociétés et la secte sont généralement difficilement repérables, et mettent en jeu des hommes de paille et des prises de participation en cascade. Les SCI assurent l’anonymat des bénéficiaires de l’acquisition, et peuvent en outre permettre la transmission de biens achetés par des prête-noms.

La Commission a eu connaissance d’un montage juridique particulièrement révélateur. L’Association franco-suisse pour la conscience de Krishna a acheté, en 1994, le château de Bellevue à Chatenois dans le Jura par la constitution d’une SCI. Cette société était détenue par la Fondation suisse pour la conscience de Krishna, et par son dirigeant, résident suisse. Ainsi, l’anonymat de l’acquéreur final a été assuré, et la SAFER de Franche-Comté, propriétaire du bien, a vendu aux gérants de la SCI, à savoir un couple de résidents français, sans lien apparent avec la secte de Zurich. Les conditions dans lesquelles cette opération a été réalisée restent pour le moment non élucidées. Elles mettent en jeu des transferts de fonds depuis et vers l’étranger qui seront examinés dans la partie consacrée à la fraude.

Cet exemple montre que la motivation de l’organisation des sectes peut rejoindre des préoccupations très éloignées du discours religieux qu’elles tiennent. Les montages juridiques mis en place peuvent ainsi être utilisés comme un outil destiné à mettre en œuvre des pratiques frauduleuses.

Sans avoir toujours eu des informations précises sur les fraudes qui peuvent en résulter, la Commission a pu observer que l’opacité des organisations sectaires passe souvent par une multiplication des instances et un changement fréquent de dénomination sociale. Ces pratiques permettent d’intercaler des structures écrans entre le noyau dur de la secte et l’administration, afin d’assurer l’insolvabilité de l’organisation. Elles permettent également de recourir à des prête-noms qui garantissent l’impunité des dirigeants de la secte.

Les sectes ont une tendance naturelle à la multiplication et à l’instabilité de leurs structures. Certains de leurs dirigeants créent, chaque année, plusieurs personnes morales différentes, procèdent à leur dissolution ou à leur liquidation, ou modifient à plusieurs reprises leur dénomination sociale, afin de brouiller les pistes qui permettraient de reconstituer leurs activités. L’instabilité juridique est notamment utilisée par plusieurs scientologues notoires, comme MM. Dominique et Jean-Marc Dambrin qui ont multiplié à l’excès les associations et sociétés. De même, M. Jean-Pierre Le Gouguec et Mme Marie-Pierre Le Saux, deux fondateurs de l’Institut des sciences holistiques de l’Ouest, ont créé successivement une dizaine de dénominations sociales différentes. La même " boulimie " est pratiquée par M. Jacques Michel Sordes, devenu un des principaux propagateurs de la secte guérisseuse dénommée Vital Harmony.

 

Une autre secte guérisseuse, Energo chromo kinèse (ECK), est une affaire de famille qui a suivi un cursus pour le moins tourmenté. Créée par M. Patrick Véret, elle a initialement pris la forme d’une association baptisée ECK. Elle a été remplacée en 1989 par une SARL Centre ECK, liquidée à son tour en 1993. Entre temps, les activités de la secte avaient justifié la création de quatre autres entités (Energo conseil SARL, Jéricho 3000 SARL et les associations Courbe et Ordre nouveau des templiers opératifs). L’ensemble de ces structures a également été supprimé en 1993. Depuis, la secte agit, on l’a vu, par l’intermédiaire de deux branches. La première dirigée par M. Véret est composée de la société NEOM qui a succédé à une société monégasque, la Cogeco, dont elle a repris le stock afin d’assurer la fabrication des produits paramédicaux vendus par la secte. La seconde branche, placée sous l’obédience de Mme Danielle Drouant, ancienne épouse de M. Véret, est séparée entre d’une part une association HST, qui utilisait le terme OTJC (Ordre du temple de la Jérusalem céleste) " en interne " (sic) et qui a été remplacée récemment par une autre association, et d’autre part le laboratoire Pharal, spécialisé dans la vente de produits diététiques.

Prima Verba est également une affaire de famille dirigée par le fondateur de la secte, M. Serge Marjollet, qui, depuis la création du mouvement, a créé plusieurs dizaines de structures différentes à l’existence fugace, alternativement dirigées par lui-même, un certain nombre de ses proches ou des prête-noms. Parmi ces structures, on peut citer la SARL Prima Verba, Deva Light, Espace bleu éditions, Perle de lumière. Il est intéressant de noter que, bien que, selon le registre du commerce, elle soit domiciliée rue de Ponthieu à Paris, la SARL Prima Verba ne figure dans aucun annuaire.

L’opacité du réseau sectaire est renforcée par le soin mis par certains mouvements à gommer de leurs dénominations sociales toute référence au nom de la secte. C’est un réflexe de prudence qui a tendance à se généraliser, notamment depuis la parution de la liste de 1995. Par exemple, le vocabulaire propre au Mandarom n’est plus utilisé par la plupart des entités qui gravitent autour de l’association du Vajra Triomphant qui constitue actuellement l’instance nationale de la secte.

Les changements de structures constituent également un moyen d’éviter de payer ses dettes, faute d’actif suffisant présent à l’intérieur des structures poursuivies. Notamment, le redressement fiscal prononcé à l’encontre du Mandarom reste à ce jour impayé, les deux associations redressées (les Chevaliers du lotus d’or et le Temple pyramide) ayant été dissoutes pour être remplacées par les trois associations actuelles regroupées sous l’appellation de Vajra Triomphant. De même, la dette fiscale de l’Association internationale pour la conscience de Krishna, branche française de la secte, a été admise en non-valeur pour insuffisance d’actif, à la suite d’un changement de structures et de la transformation de l’association en une Fédération française pour la conscience de Krishna.

Les dirigeants des sectes apparaissent rarement dans la liste des administrateurs des structures sectaires, et recourent généralement à des hommes de paille. Par exemple, Mme Claire Nuer, fondatrice d’Au Cœur de la Communication, ne siégeait pas au bureau de son association. De telles pratiques assurent l’impunité des véritables responsables des dérives sectaires. Les tribunaux sont contraints de poursuivre de simples prête-noms, voire des adeptes de bonne foi, laissés dans l’ignorance des motivations réelles de pratiques dont ils étaient les simples exécutants.

 

III.— L’utilisation de statuts avantageux

Nombre de mouvements sectaires sont passés maîtres dans l’art d’utiliser à leur profit des cadres juridiques instaurés à de tout autres fins, telles que l’exercice de libertés publiques ou le développement d’activités utiles à la société. Des dispositifs prévus pour faciliter la vie associative, la pratique d’un culte, l’organisation de la vie politique et la coopération internationale se trouvent ainsi investis par des sectes qui en tirent des avantages indus.

A.— le recours à l’association déclarée et le détournement de la loi de 1901

La plupart des mouvements sectaires sont organisés autour d’une association déclarée en application de l’article 5 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association. En effet, ainsi que le relevait le rapport de la commission d’enquête de 1995, ce statut présente le grand avantage de comporter des obligations minimales tout en offrant une large capacité juridique. Il comprend en outre une présomption d’absence de lucrativité qui emporte le bénéfice de dérogations, notamment fiscales. Il permet enfin le recours au bénévolat qui peut mettre certaines associations à l’abri de leurs obligations sociales.

L’organisation de pratiques sectaires sous la forme d’une association déclarée est apparue à la Commission comme un véritable dévoiement de la loi de 1901.

 

1.– Une personne morale soumise à des obligations minimales mais disposant d’une large capacité juridique

Le principe de la liberté associative entraîne une conception très libérale des règles organisant la catégorie de personnes morales créée en 1901. La loi de 1901 prévoit l’existence d’associations de fait, dépourvues de capacité juridique et formées sans aucune formalité : en abrogeant l’article 291 du Code pénal, le législateur a explicitement voulu qu’aucune déclaration, aucun contact avec l’administration ne soient exigés pour former une association. On retrouve le même libéralisme dans la définition des obligations prévues pour bénéficier de la capacité juridique.

a) Des obligations minimales

L’association déclarée se constitue selon des règles très souples et continuera, tout au long de son existence, à profiter d’une quasi-absence d’obligations. En outre, la cessation de l’activité de l’association n’a pas de conséquence sur son existence juridique.

·  Les obligations liées à la constitution de l’association déclarée

L’article 5 de la loi de 1901 prévoit que " toute association qui voudra obtenir la capacité juridique prévue par l’article 6 devra être rendue publique par les soins de ses fondateurs ". Le même article lie le bénéfice de la capacité juridique à une " déclaration préalable à la préfecture du département ou à la sous-préfecture de l’arrondissement où l’association aura son siège social ". Cette déclaration comprend, outre la communication des statuts :

Le décret du 16 août 1901 portant règlement d’administration publique pour l’exécution de la loi du 1er juillet 1901 a précisé les modalités de publicité des associations déclarées en prévoyant l’insertion au Journal officiel, dans un délai d’un mois, d’un extrait contenant la date de la déclaration, le titre et l’objet de l’association ainsi que l’indication de son siège social.

La capacité juridique est donc accordée sur une simple déclaration à l’administration. Il s’agit bien d’un droit que le juge s’est, pour sa part, appliqué à conforter en déniant à l’autorité administrative toute compétence pour apprécier le caractère licite de l’association ou la légalité de ses statuts. En outre, le législateur a réservé à l’autorité judiciaire le droit de prononcer la dissolution de l’association " fondée sur une cause ou en vue d’un objet illicite, contraire aux bonnes mœurs, aux lois ou qui aurait pour but de porter atteinte à la forme républicaine du gouvernement " (article 3 de la loi de 1901).

À cet égard, la Commission s’étonne qu’aucune dissolution judiciaire n’ait, à sa connaissance, été prononcée pour le moment à l’encontre d’associations sectaires. Pourtant, dans le cas de l’Eglise de Scientologie de Lyon, l’attendu de l’arrêt de la Cour d’appel faisant grief du délit d’escroquerie ne vise pas simplement un dysfonctionnement local mais la structure même de l’organisation.

La liberté d’association se traduit, s’agissant des organisations sectaires, par la multiplication des structures et la fréquence des changements de dénomination sociale qui ont été décrites plus haut. Plusieurs des exemples examinés montrent comment les dirigeants des sectes peuvent user, voire abuser, de la liberté d’association. Sur ce point, ils sont indéniablement aidés par l’organisation territoriale du dispositif de déclaration qui semble empêcher une centralisation des informations.

·  Les obligations prévues en cours d’exercice de l’activité de l’association déclarée

Une association dûment déclarée n’est tenue, au cours de son existence, qu’à des contraintes extrêmement limitées. La loi de 1901, en son article 5, se contente de prévoir l’obligation de déclarer à la préfecture tout changement intervenu dans l’administration ou la direction de l’association, ainsi que toutes les modifications apportées à ses statuts.

En application de cet article, le décret du 16 août 1901 précité prévoit quatre faits générateurs d’une obligation de dépôt d’une déclaration modificative :

En dehors de ces quatre cas de figure, l’association déclarée n’est tenue, quels que soient les événements qui touchent à son existence et à son activité, à aucune obligation tant vis-à-vis des tiers que vis-à-vis de ses membres. Il n’existe notamment aucune disposition qui garantisse son fonctionnement démocratique, voire la simple information de ses membres, sur sa gestion par ses dirigeants. Une association peut avoir une activité et un budget comparables à ceux d’une société commerciale importante, sans que ses responsables aient jamais réuni une assemblée générale, remis des comptes aux membres ou présenté un bilan économique et financier.

L’extrême libéralisme qui caractérise la réglementation de la vie d’une association déclarée n’a pas échappé à certains mouvements sectaires qui l’utilisent comme un gage d’opacité et de confidentialité de leurs pratiques. La Commission reste sceptique sur le caractère démocratique du fonctionnement de nombreuses associations sectaires. Plusieurs exemples de " coquilles vides ", c’est-à-dire d’associations dont les instances délibératives ne se réunissent pas ou très peu, ont été portés à sa connaissance. Ainsi, des instances telles que l’Union des églises scientologiques de France, l’Association française des scientologues, l’Eglise de scientologie du Rhône ont déclaré à la Commission n’avoir organisé aucune assemblée depuis plusieurs années.

Les méthodes comptables de plusieurs associations sectaires ne semblent pas non plus motivées par un souci de transparence envers leurs membres ou les administrations qui peuvent être amenées à les contrôler. Quelques sectes comme les Témoins de Jéhovah recourent aux services d’un commissaire aux comptes. En revanche, d’autres sont beaucoup moins formalistes. Une des instances les plus actives de la secte Moon, la Fédération des femmes pour la paix mondiale, a déclaré ne disposer d’aucun compte de résultat ni d’aucun bilan, alors que son budget atteint, certaines années, plusieurs centaines de milliers de francs. De même, l’Association cultuelle lectorium rosicrucianum se contente d’établir un état récapitulatif de ses recettes et de ses dépenses, et ne tient aucune comptabilité patrimoniale, bien qu’elle soit propriétaire de plusieurs biens immobiliers. Cette attitude est au demeurant parfaitement légale, aucune disposition législative ou réglementaire ne fixant les règles comptables des associations déclarées.

 

La Commission tient par ailleurs à souligner l’importance des fonds qui transitent par certaines associations sectaires. La plupart exercent une activité économique directe, et plusieurs dégagent un " chiffre d’affaires " non négligeable. Comme on le verra dans la deuxième partie du rapport, le budget annuel des associations de Témoins de Jéhovah atteint certains exercices, d’après les déclarations de la secte, 200 millions de francs et son actif net comptable dépasse le milliard de francs. L’association Sukyo Mahikari a déclaré disposer, pour certains exercices, de 15 millions de francs de recettes annuelles et d’un actif net comptable de 60 millions de francs.

·  L’absence de conséquences juridiques liées à la cessation de l’activité de l’association déclarée

L’absence d’activité n’entraîne aucune conséquence sur la capacité juridique de l’association. Toutes les associations sont autant de structures que leurs dirigeants peuvent mettre en sommeil, puis réveiller si le besoin s’en fait sentir.

Ainsi, la Nouvelle Acropole a pu faire renaître sous son contrôle une association ancienne, l’Ecole d’anthropologie de Paris, créée en 1883 et mise en sommeil depuis la Libération. Il s’agit d’une association qui a eu un certain prestige à la fin du 19ème siècle en recrutant des scientifiques de renom, avant de connaître une dérive extrémiste pendant la seconde guerre mondiale. Récupérée par la Nouvelle Acropole, elle est actuellement une " filiale " de la secte qui propose par ce biais des stages à des étudiants étrangers.

Dans leurs réponses au questionnaire de la Commission, plusieurs associations sectaires, bien qu’elles n’aient pas été dissoutes, ont déclaré n’avoir eu aucune activité au cours des dernières années. C’est notamment le cas de l’association Mieux être alpha, dispensatrice de la méthode Silva, depuis 1996 de l’Institut des sciences védiques Maharishi - Paris, antenne de la Méditation transcendantale pour la capitale, d’Au Cœur de la Communication depuis 1997. Otium, une des associations les plus actives, ces dernières années, dans la propagation de la méthode Avatar, a indiqué avoir cessé toute activité depuis 1996, mais ne semble pas pour autant avoir été dissoute.

 

La loi de 1901 va prochainement fêter ses cent ans. À cette occasion, le Gouvernement a pris l’initiative de lancer une vaste concertation sur la liberté d’association. Il a organisé, en février 1999, les assises de la vie associative. Il a également confié à M. Alain Lipietz, directeur de recherche au CNRS, une mission de réflexion sur l’avenir de la loi de 1901 et demandé à M. Jean-Michel Belorgey, Conseiller d’Etat, de préparer la commémoration de son centenaire. Il est généralement admis que cette loi, déjà modifiée à plusieurs reprises depuis sa promulgation, mérite un " toilettage ". A l’occasion du débat qui s’est engagé, la Commission souhaite attirer l’attention sur deux points qui, à travers l’exemple de l’utilisation que les sectes peuvent en faire, lui semblent mériter quelque aménagement.

En premier lieu, les règles fixant l’organisation de la démocratie associative ne correspondent plus à la place acquise par cette catégorie de personnes morales. L’importance de certaines associations justifie de les soumettre, au-delà d’un certain budget, à l’obligation de procéder à, au moins, une assemblée générale chaque année, et à établir un rapport moral et financier à l’attention de leurs membres.

Par ailleurs, l’importance des résultats comptables et financiers dégagés par le mouvement associatif nécessite de soumettre les structures les plus conséquentes à des obligations minimales de déclaration. Là encore, au-delà d’un certain budget, il conviendrait de prévoir l’obligation de déposer, chaque année, à la préfecture de déclaration le compte de résultat du dernier exercice clos et le bilan à la date de clôture accompagné de ses annexes. La présentation de ces documents devrait être mise en conformité avec les instructions comptables d’ores et déjà adressées aux associations.

La Commission a conscience du risque de fractionnement que cette mesure pourrait entraîner : les sectes pourraient créer plusieurs associations afin de rester en dessous du seuil. Il serait donc utile de mettre en place un dispositif permettant d’agréger les résultats qui pourraient être ainsi fictivement dissociés.

Ces aménagements doivent bien évidemment respecter le principe constitutionnel de la liberté d’association. Il s’agit simplement de soumettre les associations les plus actives à des obligations déclaratives minimales, tant vis-à-vis de leurs membres que de l’administration. Le seuil doit donc être fixé de manière à ne pas porter atteinte au droit de chacun de constituer une association. Les formalités proposées par la Commission pourraient, par exemple, devenir obligatoires à partir d’un budget supérieur à 500.000 francs par an.

 

b) Une large capacité juridique

Au regard des obligations, notamment déclaratives, auxquelles la loi les soumet, les associations déclarées disposent d’une capacité juridique qui autorise la plupart des actes nécessaires à leur fonctionnement. Dans le cas des sectes, le statut d’association déclarée permet d’exercer des activités économiques largement comparables à celles d’une entreprise, sans être soumis aux mêmes obligations.

Ainsi, toute association déclarée peut, en application de l’article 6 de la loi de 1901, procéder aux principaux actes de la vie économique :

Il n’existe en fait que deux restrictions à la capacité des associations déclarées :

Les associations sectaires utilisent largement la capacité juridique que leur offre leur déclaration en préfecture. Elles sont généralement propriétaires d’un parc immobilier qui, dans certains cas, atteint une valeur très importante. Les différentes associations de Témoins de Jéhovah ont acquis des immeubles et procédé à la construction d’installations industrielles et d’hébergement qui permettent de les comparer à des entreprises commerciales. Elles font également largement usage de la possibilité de contracter, comme le montrent les liens juridiques qu’elles ont établis entre elles. Plusieurs sectes ont communiqué à la Commission les apports dont elles ont bénéficié en application de la loi de 1901. La Soka Gakkaï international France a notamment été constituée par les apports consentis par les deux autres instances nationales de la secte, la Soka Gakkaï France et l’Institut européen de la Soka Gakkaï international. D’une manière générale, la possibilité de percevoir des dons manuels offre aux associations sectaires leur principale source de revenus, et parfois fonde leur puissance financière. Le budget de plusieurs d’entre elles représente, on y reviendra, plusieurs dizaines voire plusieurs centaines de millions de francs.

2.– L’utilisation de la présomption d’absence de lucrativité

Le recours à une association déclarée présente le grand avantage de faire bénéficier les activités de l’association d’une présomption d’absence de lucrativité qui entraîne l’application d’un statut fiscal privilégié. L’administration puis le juge ont cependant été amenés à contester cette présomption en reconnaissant le caractère lucratif de plusieurs associations.

a) Une présomption d’absence de lucrativité

L’article 1er de loi de 1901 définit l’association comme " la convention par laquelle deux ou plusieurs personnes mettent en commun d’une façon permanente leurs connaissances ou leur activité dans un but autre que de partager des bénéfices ". L’absence de recherche de profit a donc été placée par le législateur au centre de la démarche associative. Elle est progressivement devenue un élément consubstantiel de l’association qui, sauf preuve du contraire, est désormais présumée non lucrative.

Telle est l’interprétation qui préside à l’instruction du ministère des finances datée du 15 septembre 1998. Ce texte cite dans son introduction " les associations et plus généralement les organismes réputés être sans but lucratif ", reconnaissant ainsi la présomption de non lucrativité des associations. C’est, de façon générale, le raisonnement qui est suivi en matière fiscale, puisque, comme l’a rappelé, le 19 février 1999, le Secrétaire d’Etat au budget devant les assises de la vie associative, l’exonération des activités associatives est de plein droit, l’assujettissement étant l’exception.

De cette présomption découlent également les modalités de vérification des activités associatives. L’exercice de procédures de contrôle fiscal lourdes, comme le droit de visite et la saisie prévus à l’article L16B du livre des procédures fiscales, est soumis à une autorisation du président du tribunal de grande instance ou d’un juge délégué. S’agissant de la taxation des associations aux impôts commerciaux, le juge n’accorde l’application de ces procédures que si l’administration fiscale est en mesure de le convaincre du caractère lucratif des activités par la production d’un faisceau de présomptions recueillies au cours d’une enquête préliminaire. Ainsi dans l’arrêt " Association l’autobus " (avril 1992), le Conseil d’Etat n’a autorisé l’usage du droit de visite qu’après avoir vérifié que l’administration avait réuni des indices laissant penser que l’activité de l’association pouvait être lucrative.

La présomption de non lucrativité et les règles procédurales qu’elle entraîne rendent le contrôle fiscal des associations sectaires particulièrement difficile. L’administration doit en effet réunir des indices suffisants montrant leur caractère lucratif avant de pouvoir user de son pouvoir de contrôle. Or, comme on l’a vu, certaines sectes se sont organisées de manière à se protéger derrière une structure associative qui cache un réseau de filiales commerciales.

b) Un statut fiscal privilégié

La présomption de non lucrativité est d’autant plus intéressante qu’elle s’accompagne de l’application automatique d’avantages fiscaux importants. Prétendue par principe non lucrative, l’association peut exercer ses activités économiques sans payer aucun impôt aussi longtemps que l’administration n’a pas diligenté un contrôle et prouvé son caractère lucratif.

Les exonérations entraînées par le caractère non lucratif de l’association couvrent les trois impôts applicables aux activités économiques : la TVA, l’impôt sur les sociétés et la taxe professionnelle.

En matière de TVA, les associations sans but lucratif sont exonérées pour les activités suivantes :

En application de l’article 206-1 du code général des impôts, est passible de l’impôt sur les sociétés toute personne morale se livrant à une exploitation ou à des opérations à caractère lucratif. Il en découle que les activités non lucratives des associations en sont exonérées. Cette règle est appliquée par le juge selon une jurisprudence constante.

Enfin, l’article 1447 du code général des impôts assujettit à la taxe professionnelle les personnes physiques ou morales qui exercent à titre habituel une activité professionnelle non salariée. La jurisprudence lie le caractère professionnel d’une activité à l’existence de la recherche d’un profit, ce qui a pour effet d’exonérer les activités non lucratives des associations.

c) L’application des critères de la gestion lucrative aux associations sectaires

La qualification d’une gestion associative repose sur la définition donnée à la notion de lucrativité. C’est en effet sur ce concept que le juge accordera le bénéfice des avantages prévus par la loi. Les critères de la gestion lucrative étaient définis dans ce qu’il est convenu d’appeler la doctrine des œuvres. Ils viennent d’être actualisés par une nouvelle instruction fiscale.

· La doctrine des œuvres

La doctrine des œuvres lie l’absence de lucrativité au respect de deux séries de conditions : recourir à une gestion désintéressée et avoir une utilité sociale.

La gestion désintéressée est traditionnellement définie par quatre critères :

  • la gestion doit être bénévole, ce qui suppose que les administrateurs de l’association ne doivent avoir aucun intérêt dans ses résultats ;
  • l’association ne doit procéder à aucune distribution de bénéfices, notamment à ses membres ;
  • elle ne doit pas rechercher systématiquement le profit par le recours à des méthodes ou à des prix similaires à ceux pratiqués par des entreprises commerciales ;
  • enfin, les excédents de recettes doivent être immédiatement réinvestis dans l’œuvre elle-même.
  • Le juge, et notamment le Conseil d’Etat dans un arrêt d’assemblée du 30 novembre 1973, a ajouté la nécessité de pouvoir faire état d’une utilité sociale. Pour bénéficier du statut d’organisme non lucratif, l’association doit pratiquer des prix permettant aux moins favorisés d’accéder à ses prestations. Elle doit également fournir des services insuffisamment couverts par les entreprises concurrentielles.

    À travers plusieurs décisions jurisprudentielles, la doctrine des œuvres a trouvé à s’appliquer à des associations présentant un objet religieux, mais concurrençant le secteur marchand. Le juge a par exemple considéré que doit être regardée comme lucrative l’activité d’une association qui dispense des cours de yoga à ses membres et à des non adhérents, consacre un pourcentage de ses recettes à l’insertion de messages publicitaires dans la presse et verse une partie de ses produits à une " structure mère " située à l’étranger (jugement n°92-924 de la Cour administrative d’appel de Paris, 14 décembre 1993, confirmé par le Conseil d’Etat le 12 avril 1995). De même, doit être regardée comme lucrative une association ayant pour objet de diffuser des messages religieux, qui tire une large part de ses recettes de prestations payantes rendues dans des conditions semblables à celles du marché et qui connaît des excédents réguliers (jugement n°95-4099 de la Cour administrative d’appel de Paris, 6 novembre 1997).

    Lorsqu’une association ne subit aucune concurrence dans son activité ou que tous ses concurrents sont eux-mêmes non imposables, la doctrine conclut à l’absence d’assujettissement aux impôts commerciaux. Cette position peut donner lieu à des abus dans la mesure où il est anormal qu’une association qui, sous couvert d’activité religieuse, se livre à des activités à forte rentabilité, soit exonérée d’impôts commerciaux au motif que le public intéressé ne peut s’adresser à une autre structure associative pour obtenir les mêmes produits et services. C’est pourquoi l’absence de concurrence n’est généralement admise comme un motif d’exonération qu’à la condition que les excédents constatés soient affectés à la réalisation de l’objet social (Conseil d’Etat, 14 octobre 1988, n°62147-63703).

    Cette jurisprudence a été appliquée à des activités sectaires. L’administration fiscale a prononcé plusieurs redressements pour activité lucrative non déclarée. Ces redressements seront examinés dans la troisième partie du rapport. Il est d’ores et déjà intéressant de noter que le juge a confirmé le caractère lucratif de plusieurs associations sectaires.

    En 1985, le Conseil d’Etat a assujetti à l’impôt l’association Hubbard des scientologues français au motif que cette dernière a recherché les excédents de recettes, non pour en faire bénéficier ses dirigeants, mais pour les reverser à une association mère (Conseil d’Etat, 14 octobre 1985, n°37583). Par la suite, le juge administratif a été amené, à plusieurs reprises, à confirmer le caractère lucratif des activités de la Scientologie. Le 13 mai 1993, la Cour administrative d’appel de Paris a estimé que le Celebrity Center poursuivait une activité lucrative dans la mesure où il effectuait des opérations à titre onéreux, procédait à une recherche permanente d’excédents et recourait largement à des méthodes commerciales (arrêt de la Cour administrative d’appel de Paris du 13 mai 1993, confirmé par le Conseil d’Etat le 8 juillet 1998). La Cour a adopté le 5 avril 1994 la même position, également validée en 1998 par le Conseil d’Etat, sur les activités de l’Eglise de scientologie de Paris.

    Les activités économiques poursuivies par la Soka Gakkaï à travers les associations formant la branche française de la secte ont, elles aussi, été jugées lucratives. Dans un jugement daté du 10 décembre 1996 sur lequel la Cour administrative d’appel n’a pas encore statué, le Tribunal administratif de Paris a, par exemple, considéré que l’association " Nichiren Shoshu française " tirait la majeure partie de ses recettes d’activités commerciales consistant en la vente de revues, brochures, livres, accessoires pratiques et cours ou séminaires payants pour laquelle elle dégageait une marge variant de 42,28 à 49,64 %, soit des taux supérieurs à ceux habituellement pratiqués dans ce secteur. Constatant en outre qu’elle plaçait ses excédents dans l’acquisition de valeurs mobilières et qu’elle possédait 99 % d’une SARL, le juge a conclu au caractère lucratif de l’association.

    L’arrêt de la Cour administrative d’appel de Paris daté du 6 novembre 1997 relatif au Mouvement raëlien est également révélateur du caractère particulièrement lucratif des activités organisées par la secte sous couvert de structures associatives à l’objet prétendument religieux. Pour confirmer l’assujettissement de l’association " Mouvement raëlien français ", le juge a en effet pris en compte le fait que cette dernière vendait des ouvrages, des cassettes, des médailles, des parapluies et autres articles dont, pour la plupart, les prix étaient supérieurs à leur coût de revient, les bénéfices perçus sur certains produits dépassant de plus de 50 % leur prix d’achat. Le juge s’est par ailleurs appuyé sur l’importance des recettes dégagées, en augmentation de plus de 50 % en deux ans, et sur l’ampleur des frais de publicité qui représentaient plus de 35 % des charges de l’association. Il résulte également des conclusions du commissaire du Gouvernement que, si les droits d’auteur perçus par M. Vorilhon, dirigeant de l’association, avaient été abandonnés à une fondation, cette dernière finançait son train de vie.

    Le juge administratif vient d’adopter une position similaire pour la secte Horus dans un jugement du 11 mars 1999 par lequel il s’est prononcé en faveur du caractère lucratif de l’association dirigée par Mme Marie-Thérèse Castagno, et confirmé le redressement fiscal décidé par l’administration.

    · L’instruction fiscale du 15 septembre 1998

    Les principes de la doctrine des œuvres ont été synthétisés dans l’instruction fiscale du 27 mai 1977 qui, en liant l’absence de lucrativité au respect de cinq conditions, a repris les critères définis plus haut.

    En publiant, le 15 septembre 1998, une nouvelle instruction, la Direction générale des impôts et le Service de la législation fiscale viennent d’abandonner les critères traditionnels de la doctrine des œuvres et, afin de tenir compte de l’évolution du secteur associatif, de fixer une nouvelle définition de l’absence de lucrativité.

    La principale innovation de ce texte repose sur la méthode retenue. L’instruction prône un examen de chaque cas par étape, afin de guider la démarche de l’administration. Il convient, en premier lieu, d’examiner si la gestion de l’organisme est désintéressée. Dans la négative, ce dernier est nécessairement soumis aux impôts commerciaux. Dans le cas contraire, l’administration est invitée, dans un deuxième temps, à vérifier si l’organisme ne concurrence pas le secteur commercial, auquel cas il n’est pas imposable. Si la concurrence est établie, l’instruction prévoit une troisième étape au cours de laquelle les modalités de gestion de l’organisme sont examinées de manière à apprécier leur similitude avec celles utilisées par les entreprises commerciales. Pour cette dernière étape, l’instruction énonce la règle des " 4 P " qui permet d’étudier, dans l’ordre de leur énumération, le produit proposé par l’organisme, le public visé, les prix pratiqués et la publicité utilisée. Il s’agit de quatre critères d’importance décroissante qui, s’ils montrent le recours à des méthodes de gestion similaires à celles du secteur concurrentiel, entraîneront l’assujettissement aux impôts commerciaux.

    L’instruction prévoit en outre l’imposition automatique des associations qui exercent leur activité au profit d’entreprises. En revanche, elle admet le caractère désintéressé d’une association qui rémunère des dirigeants dans la limite d’un montant brut mensuel égal aux trois quarts du SMIC.

    Elle laisse par ailleurs un délai de six mois aux organismes concernés pour déterminer, à partir d’une réponse circonstanciée des correspondants désignés à cet effet au sein de l’administration fiscale, leur régime d’imposition. Le Gouvernement a également pris la décision d’abandonner les redressements en cours pour toutes les associations de bonne foi.

    L’instruction du 15 septembre 1998 s’est en effet accompagnée d’une circulaire, numérotée *4H-2-98 et datée du même jour mais dont le texte n’a pas été rendu public. Ce texte prévoit que, pour les associations en cours de contrôle ou ayant fait l’objet d’une procédure de redressement, " les dispositions (de l’instruction) ne donneront pas lieu à rappel lorsque les impositions procèdent de la remise en cause du caractère non lucratif d’une association de la loi de 1901 qui pouvait s’estimer de bonne foi exonérée et dès lors que les impositions ne sont pas définitives ", c’est-à-dire tant que " les délais de réclamation ou de recours ne sont pas expirés ". La circulaire précise que " la bonne foi ne saurait en principe être admise lorsque l’association est en état de récidive et que l’analyse de l’administration n’est pas remise en cause par les nouveaux critères de l’instruction ", et notamment " lorsque le régime fiscal de l’association lui avait été précisé sans ambiguïté dans le cadre d’un contrôle précédent ou que l’organisme n’a pas régularisé sa situation à la suite de la réponse écrite consécutive au réexamen approfondi de son Dossier par l’administration centrale ". Il est en outre ajouté que " cette bonne foi ne sera pas, bien entendu, reconnue lorsque la structure associative a été utilisée sciemment pour exercer des activités paracommerciales ou illicites ".

    La publication d’une nouvelle instruction sur la fiscalité des associations a suscité des réactions divergentes dont les assises de la vie associative organisées en février 1999 se sont fait l’écho. Des protestations avaient, à juste titre, déjà été émises devant les redressements adressés à de nombreuses associations culturelles ou socio-éducatives. Alors que la mission confiée à M. Goulard et la rédaction d’une nouvelle instruction avaient pour objectif d’apporter une solution aux cas les plus criants, le texte publié en septembre 1998 a été considéré par certains comme une interprétation restrictive des critères d’exonération.

     

    Pour la Commission d’enquête, confrontée au problème particulier du phénomène sectaire et aux exemples d’utilisation de la notion de non lucrativité par les sectes, les règles qui viennent d’être énoncées ne semblent pas de nature à freiner le développement des activités commerciales des associations qu’elle a examinées.

    Certes, l’instruction met à la disposition de l’administration un outil de contrôle qui lui apporte l’indispensable méthodologie qui lui faisait défaut. Notamment, la primauté donnée au critère de la gestion désintéressée qui devient une condition préalable obligée de la non lucrativité a le mérite de la clarté et trouvera, dans le cas des associations sectaires, matière à s’appliquer.

    Il n’en reste pas moins que les assouplissements introduits ne faciliteront pas le contrôle des pratiques sectaires. Ils empêcheront par exemple de redresser les sectes dont l’activité est potentiellement concurrentielle, la concurrence n’étant plus une condition suffisante pour entraîner la perte de l’exonération. De même, il ne sera plus possible d’imposer une association sectaire au seul motif qu’elle a recours à la publicité ou qu’elle effectue des opérations commerciales. Sur ce dernier point, l’instruction admet en effet la possibilité de sectoriser l’activité commerciale dans une ou plusieurs filiales pour permettre à l’association de demeurer exonérée d’impôts pour son activité principale.

    La Commission est également très réservée sur la décision, annoncée par le Gouvernement lors des assises nationales de la vie associative, d’accorder une exonération d’impôts commerciaux à toutes les associations dégageant des recettes commerciales inférieures à 250.000 francs par an. Elle voit avec inquiétude l’utilisation que les sectes pourraient faire d’une telle mesure, et notamment l’effet de seuil qu’elle entraînerait. En effet, on peut craindre que cette exonération les incite à morceler leurs activités commerciales en plusieurs structures associatives de manière à rester systématiquement en dessous du seuil.

    La Commission souhaite par conséquent que le Gouvernement mette à profit le délai supplémentaire introduit par sa récente décision de reporter l’entrée en application de l’instruction du 15 septembre 1998, pour prendre en considération les risques d’utilisation des règles nouvellement édictées dans un sens favorable au développement du phénomène sectaire.

     

    Elle invite également l’administration fiscale à la plus grande vigilance dans l’examen des Dossiers individuels et dans l’usage de la marge d’appréciation que lui laisse la possibilité qui lui a été récemment ouverte d’abandonner des rappels en cas de bonne foi. La Commission ne cache pas son étonnement devant la remise de dettes fiscales décidée, en application de la circulaire du 15 septembre 1998, en faveur d’associations sectaires.

    Deux cas ont été portés à sa connaissance : l’association Spiritual Human Yoga pour laquelle le rappel d’impôt sur les sociétés de 183 824 francs a été abandonné, et l’association Au cœur de la communication qui a fait l’objet de la remise d’une dette fiscale de 1,3 million de francs. Ces redressements avaient été prononcés pour absence de déclaration d’activités lucratives et, s’agissant d’Au cœur de la communication, pour distribution occulte de revenus. Il semble étonnant de reconnaître la bonne foi d’associations qui, d’après les informations transmises à la Commission, poursuivent manifestement un but lucratif et qui, pour ce qui concerne la dernière, se livrent à des dérives en rémunérant de manière occulte leurs dirigeants. Ces cas semblent relever davantage des activités paracommerciales ou illicites qui, aux termes de la circulaire, interdisent l’abandon des rappels, que de la notion de bonne foi. Alors que de nombreuses associations peinent à obtenir de l’administration fiscale la reconnaissance du caractère manifestement désintéressé de leur gestion, la Commission s’interroge sur la relative mansuétude dont certaines sectes bénéficient.

    Le dégrèvement décidé dans le cas de l’AMORC semble avoir été motivé par des raisons différentes qui illustrent les difficultés rencontrées par l’administration fiscale pour prouver le caractère lucratif des activités d’une association. L’AMORC a en effet fait l’objet d’un redressement de 118 millions de francs, pénalités incluses, sur lequel l’administration est revenue en abandonnant une partie de sa créance (environ 32 millions de francs). Interrogée sur ce dégrèvement, la Direction générale des impôts s’est contentée de préciser qu’il se justifiait par " absence de démonstration probante du caractère intéressé de la gestion de l’organisme ", et absence d’établissement de la " nature concurrentielle des prestations d’enseignement ésotérique à distance ". Là encore, la Commission ne peut qu’inciter l’administration, s’agissant de l’examen des Dossiers relatifs aux activités sectaires, à la plus grande prudence dans l’usage de la marge d’interprétation que les textes lui laissent.

    3.– Le recours au bénévolat

    a) Une notion difficile à cerner et parfois utilisée de façon abusive

    Dans le droit commun, la notion de bénévolat est consubstantielle à celle d’association et à la présomption de non-lucrativité de celle-ci. Elle consiste, en effet, à participer au fonctionnement ou à l’animation d’une association sans rémunération d’aucune sorte ni contrepartie matérielle.

    L’activité bénévole est, le plus souvent, celle des membres de l’association mais elle peut, dans certains cas, être le fait de personnes par ailleurs salariées de l’association et lui apportant une collaboration supplémentaire non rémunérée.

    L’absence de contrepartie financière comme critère du bénévolat est entendue de façon assez stricte, aussi bien par la législation (art. L.242-1 du code de la sécurité sociale) que par la jurisprudence (arrêt de la Cour de Cassation, chambre sociale du 17 avril 1985). En sont, en effet, exclus, non seulement les rémunérations en espèces, y compris les indemnités, primes et gratifications, mais également les avantages en nature offerts par les associations à leurs collaborateurs, et consistant en hébergement, repas, mise à disposition d’un véhicule…

    En outre, une rémunération, même composée exclusivement d’avantages en nature, a le caractère d’un salaire si l’existence d’un lien de subordination est établie entre les collaborateurs et les dirigeants de l’association.

    Toutefois, le collaborateur bénévole peut, sans que soit remis en cause son statut, être remboursé des frais qu’il engage pour le compte de l’association, à la condition qu’il s’agisse de dépenses réelles et ayant donné lieu à des justificatifs. Faute de pouvoir produire ces derniers, l’association voit les sommes versées à ses collaborateurs bénévoles requalifiées par l’URSSAF en salaires déguisés. Dans la pratique, la distinction entre un collaborateur bénévole remboursé de ses frais et un collaborateur occasionnel salarié dont la rémunération est exclusivement ou essentiellement composée d’avantages en nature, n’est pas toujours facile à opérer.

     

    Enfin, est également admis le cumul d’une activité salariée et des fonctions exercées à titre bénévole au sein d’une même association. La jurisprudence a accepté qu’un salarié, membre permanent d’une association, puisse, dans le cadre d’une convention passée avec celle-ci, répartir son temps de travail en heures rémunérées et en heures bénévoles.

    Les souplesses et les ambiguïtés du bénévolat peuvent donc assez facilement donner lieu à des détournements.

    Dans les associations sectaires, l’adhésion particulièrement intense et l’état de dépendance favorisent considérablement le recours au bénévolat.

    La Commission a ainsi été frappée, dans de multiples cas, par la faiblesse numérique des effectifs de salariés travaillant dans des mouvements sectaires et, plus encore, dans leurs filiales exerçant une activité économique.

    Le recours au bénévolat est très fréquent non seulement – ce qui était attendu – dans les mouvements affichant un objet spirituel, mais aussi, et plus spécialement, dans les mouvements qui interviennent en matière de formation et de développement personnel. Les adeptes sont conduits à fournir gratuitement certains travaux pour la secte, dans la plupart des cas, soit pour rembourser leurs dettes à son égard, soit à titre de reconnaissance pour les bienfaits dont ils ont bénéficié.

    Ainsi, la Scientologie fait travailler des adeptes qu’elle rémunère mais dont la rémunération peut être intégralement affectée au paiement des cours et des services dispensés. On cite l’exemple des installations de Copenhague, siège de l’organisation européenne de la secte, qui auraient été, selon plusieurs témoignages, restaurées par des adeptes volontaires pour une valeur totale de 17 millions de francs. La rémunération mensuelle de chacun était d’environ 5.000 francs, à laquelle s’ajoutaient des avantages en nature de type classique (hébergement et nourriture) et d’autres, plus originaux, consistant en heures de cours et d’études.

    D’autres, qui n’arrivent plus du tout à payer leurs cours, sont envoyés à Copenhague pendant quelques mois pour effectuer de petits travaux administratifs dans des conditions très dures : hébergés à la limite de l’insalubrité, travaillant jusqu’à quatorze heures par jour, non déclarés et nourris avec parcimonie.

    Dans d’autres cas, l’adepte de la Scientologie fortement endetté se verrait proposer de travailler bénévolement, le plus souvent dans des pays étrangers, où il donnerait, par exemple, des cours dans des écoles de langues.

    De même, deviennent des bénévoles-forçats les adeptes nécessitant une phase de rééducation et de réhabilitation. Le " Rehabilitation project force " (RFP) les emploie à des tâches subalternes, dans les locaux de Copenhague ou sur le bateau de la Scientologie, le " Freewinds ".

    D’autres mouvements semblent pratiquer un très large recours au bénévolat.

    Ainsi, à la fin de chaque séminaire de Landmark, il est demandé aux stagiaires s’ils souhaitent être bénévoles : 5 à 10 % se porteraient volontaires. Leur travail consiste alors à s’occuper principalement de la logistique des séminaires et à faire du démarchage téléphonique.

    Sri Ram Chandra, qui organise des séminaires internationaux, dont le dernier, en août 1998, a rassemblé 2.000 participants, emploie des bénévoles dans le cadre de " séminaires chantiers ", qui ont notamment permis la restauration du château servant de siège à l’association.

    Les Témoins de Jéhovah font également un large appel au bénévolat aussi bien pour des tâches diverses, accomplies au sein de la Communauté chrétienne des Béthélites sur le site de Louviers, qu’au titre du démarchage à domicile que doivent effectuer les adeptes. L’ampleur des travaux réalisés à Louviers et l’organisation de la communauté ont poussé l’administration à en contester le caractère bénévole ouvrant un contentieux sur lequel on reviendra ultérieurement.

    D’autres exemples peuvent être cités à partir de témoignages mentionnés dans le rapport d’enquête de la Chambre des Représentants de Belgique du 28 avril 1997.

    La Nouvelle Acropole exige de ses adeptes un certain nombre d’heures de travail bénévole dans son " école ", consacrées à des tâches d’accueil, d’entretien et de secrétariat.

    Ogyen Kunzang Chöling (OKC) demande à ses membres du travail communautaire, contre la fourniture gratuite de l’hébergement, la nourriture et l’enseignement de la doctrine.

    Sukyo Mahikari exige également de ses adeptes, outre leurs multiples offrandes, d’assurer des travaux et des services pour son établissement central au Luxembourg.

    b) Le régime applicable

    L’actuel régime du bénévolat offre aux mouvements sectaires un allégement considérable du coût de leurs activités, et laisse sans aucune protection des adeptes qui, bien souvent, embrigadés dans le mécanisme sectaire, n’exercent plus à l’extérieur d’activité leur donnant droit à une couverture sociale. Dès lors, l’absence de cette couverture favorise un bénévolat plus ou moins " forcé " puisque les adeptes peuvent difficilement quitter la secte sans se retrouver dans une situation d’extrême précarité sociale.

    C’est d’ailleurs, à l’occasion d’un accident du travail survenu en 1996 à l’imprimerie des Témoins de Jéhovah, à Louviers, qu’une inspection a fait apparaître, d’une part, des manquements graves à la législation du travail, sur lesquels nous reviendrons plus loin, d’autre part un système de protection sociale insuffisant.

    Les régimes comptable et fiscal du bénévolat, conçus, dans l’esprit de la loi du 1er juillet 1901, pour faciliter la vie associative – en la déchargeant à la fois des coûts élevés du salariat et des réglementations complexes du travail – sont ainsi devenus, pour les mouvements sectaires, des instruments propres à conforter leur opacité et à leur faciliter la pratique de la fraude fiscale et sociale.

    Dans la mesure où les contributions volontaires apportées par les bénévoles à la vie des associations peuvent représenter, pour certaines d’entre elles, des volumes de travail ou des quantités de services très importantes sur le plan économique, il semblerait normal que ces apports fassent l’objet d’une valorisation comptable.

    C’est pourquoi, le Conseil national de la comptabilité a, dans un avis déjà ancien, rendu le 17 juillet 1985, montré " l’intérêt qui s’attache à la valorisation des contributions volontaires effectuées à titre gratuit " et proposé une méthode qui permettrait de disposer, ne serait-ce que pour des raisons de bonne tenue des statistiques économiques, d’informations en ce domaine.

    Cette prise en compte étant, bien entendu, facultative, peu d’associations l’ont intégrée dans leur comptabilité et, on s’en doute, aucun des mouvements sectaires ayant accepté de répondre au questionnaire de la Commission, même ceux qui, comme les Témoins de Jéhovah, utilisent un personnel nombreux à des tâches industrieuses.

    Le bénévolat associatif ne bénéficie d’aucun statut fiscal avantageux pour favoriser son engagement. Lui sont appliquées les règles de droit commun, selon lesquelles les remboursements de frais sont non-imposables alors que peut l’être une partie des avantages en nature.

    Si ce régime ne soulève pas de difficulté particulière pour les associations en général, il en va différemment pour celles relevant de la mouvance sectaire. En effet, l’absence de salariat peut faciliter l’attribution de revenus occultes à des adeptes que le statut de bénévole fait échapper à tout contrôle fiscal direct.

    B.— la revendication du statut cultuel et le recours à la loi de 1905

    Certaines sectes revendiquent le statut de religion. Cette revendication procède d’une stratégie globale visant à obtenir une reconnaissance officielle. Elle se heurte au principe de la séparation des églises et de l’Etat qui renvoie les pratiques religieuses à la sphère privée, et ne reconnaît aux pouvoirs publics aucune compétence pour définir ce qui est religieux et ce qui ne l’est pas.

    Le Ministère de l’intérieur a reçu de plusieurs organisations sectaires, notamment du Mandarom et des Témoins de Jéhovah, des demandes de reconnaissance de leur statut de congrégation religieuse. Il s’agit d’un régime d’autorisation dont les caractéristiques sont clairement définies par le titre III de la loi de 1901 qui organise la liquidation des biens des congrégations existantes au moment de sa promulgation. La qualité de congrégation religieuse est reconnue par décret en Conseil d’Etat et, à la différence du régime de l’association déclarée, entraîne des obligations, notamment comptables, importantes. Aucune organisation sectaire n’a, à la connaissance de la Commission, été reconnue congrégation religieuse.

    La principale offensive juridique menée par les sectes sur le terrain de la reconnaissance religieuse porte sur le régime de l’association cultuelle prévu par la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des églises et de l’Etat dont l’application soulève davantage de difficultés que l’octroi du statut de congrégation. Il s'agit en effet d’un statut créé en 1905 qui a fait depuis l’objet, notamment de la part de la juridiction administrative, de divergences d’interprétation que les sectes savent utiliser avec habileté. La démarche est la suivante : plusieurs associations sectaires demandent à l’administration de bénéficier des avantages, notamment fiscaux, liés au statut d’association cultuelle et s’appuient sur le refus qui leur est opposé pour revendiquer, et parfois obtenir, auprès du juge la reconnaissance de leur caractère cultuel.

    Le statut d’association cultuelle est un régime particulier d’association déclarée. La suppression du service public des cultes décidée en 1905 a en effet conduit le législateur à prévoir le remplacement des établissements qui en avaient la charge par des associations cultuelles, s’inscrivant dans le cadre des associations déclarées prévues aux articles 5 et 6 de la loi de 1901, mais organisées selon des règles qui leur sont propres. Par ailleurs, le maintien des trois départements d’Alsace-Moselle en régime concordataire a entraîné l’existence d’associations cultuelles régies par le droit local.

    Le régime juridique que le législateur de 1905 a mis en place ne passait par aucune reconnaissance officielle. Une telle reconnaissance aurait été contraire au principe de séparation qui animait la loi. En outre, les associations cultuelles ne bénéficiaient initialement d’aucun avantage particulier par rapport aux associations déclarées. La loi de 1905 a cependant été à plusieurs reprises modifiée, et le régime de l’association cultuelle s’en est trouvé transformé dans son esprit, au risque de rompre l’équilibre entre les droits et les obligations des organismes concernés. Plusieurs avantages, notamment fiscaux, ont en effet été accordés à cette catégorie d’associations qui, d’un régime de droit commun destiné à organiser la séparation des églises et de l’Etat, est devenu un régime dérogatoire.

    1.– Un régime dérogatoire au droit commun des associations déclarées

    a) Les associations cultuelles en régime de séparation

    Le titre IV de la loi de 1905 définit l’association cultuelle comme une association déclarée " formée pour subvenir aux frais, à l’entretien et à l’exercice public d’un culte " et qui devra " avoir exclusivement pour objet l’exercice d’un culte ".

    Ce même titre soumet les organismes ainsi définis à des obligations comptables et financières particulières. Les associations cultuelles sont en effet tenues de dresser chaque année un compte financier et un état inventorié de leurs biens. Leurs directeurs ou administrateurs doivent notamment soumettre à l’approbation de l’assemblée générale des membres leurs " actes de gestion financière et de l’administration légale des biens ". Ces dernières sont par ailleurs soumises à un contrôle financier exercé par l’administration de l’enregistrement qui paraphe leur " état des recettes et des dépenses ", et qui est par ailleurs destinataire de leur compte financier annuel.

    Parallèlement à leurs obligations comptables et financières, les associations cultuelles bénéficient des droits suivants :

    Par ailleurs, les associations cultuelles peuvent bénéficier d’avantages qui, sans leur être spécifiques, leur sont applicables. Selon une jurisprudence constante, les locaux à vocation religieuse, quelle que soit la qualification juridique de leur propriétaire, sont exonérés de taxe d’habitation quand ils sont exclusivement affectés à l’exercice d’un culte public et mis à la disposition du public. Cette position a été confirmée par un arrêt de section du Conseil d’Etat du 13 janvier 1993 (Ministre du budget contre Congrégation chrétienne des Témoins de Jéhovah du Puy et Ministre de l’économie, des finances et du budget contre association Agape).

    b) L’exercice d’un culte en régime concordataire

    L’exercice des cultes en Alsace-Moselle est organisé selon le régime concordataire. Les trois confessions reconnues (les cultes catholique, protestant et israélite) constituent un service public confié à des établissements publics et bénéficient de la part de l’Etat, en contrepartie d’un contrôle de l’administration, d’importantes sollicitudes, comme la rémunération des ministres du culte, la garantie d’un enseignement religieux dans les écoles publiques ou l’octroi d’avantages financiers et fiscaux.

    Les cultes non reconnus sont en revanche organisés sous la forme d’associations régies par un droit local qui diffère sensiblement du régime de la loi de 1901. La procédure locale d’inscription est plus lourde que la déclaration prévue dans le reste de la France, l’autorité administrative ayant le pouvoir de faire opposition à l’inscription pour des nécessités d’ordre public. En contrepartie, les associations inscrites en Alsace-Moselle bénéficient d’une capacité juridique plus étendue que celle des associations déclarées en application de la loi de 1901 : elles peuvent recevoir des dons et legs, et acquérir des immeubles autres que ceux qui sont strictement nécessaires à leurs buts statutaires.

    Bien qu’ils se situent hors du champ d’application du principe de la séparation des églises et de l’Etat, les établissements publics du culte reconnu et les associations ayant pour objet l’exercice d’un culte dans les trois départements d’Alsace-Moselle bénéficient, par des dispositions législatives spécifiques ou par décision jurisprudentielle, d’avantages similaires à ceux dévolus aux associations cultuelles régies par la loi de 1905.

    Ces établissements et associations sont en effet couverts par les dispositions des articles 713 et 795-10° du code général des impôts, relatives respectivement à exonération de droits de mutation à titre gratuit et à l’application d’un taux réduit pour les acquisitions immobilières.

    L’article 238 bis du même code réserve le bénéfice de la déductibilité des dons aux seuls établissements des cultes reconnus. Cependant, le juge administratif a donné aux associations cultuelles inscrites selon le droit local la possibilité de faire bénéficier leurs donateurs des mêmes avantages fiscaux (Tribunal administratif de Strasbourg, 20 juin 1989, Association évangélique La Bonne Nouvelle contre Préfet du Bas-Rhin).

    S’agissant enfin de la taxe foncière, l’article 4 du code local des impôts directs limite le droit à exonération aux " bâtiments consacrés au service religieux public des cultes reconnus ", et exclut par conséquent les cultes non reconnus. Cette exclusion, appliquée notamment au culte musulman par le Tribunal administratif de Strasbourg dans un jugement du 18 octobre 1993, a cependant été supprimée par l’article 37 de la loi de finances pour 1994 qui a étendu le bénéfice de l’article 1382-4° du code général des impôts aux " édifices affectés à l’exercice du culte, qui, dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, appartiennent à des associations ayant pour objet exclusif l’exercice d’un culte non reconnu ".

    2.– Un statut interprété de manière divergente par l’administration

    Le bureau central des cultes du ministère de l’Intérieur recense près de 470 associations cultuelles dont une centaine émanent du culte catholique, 150 ont été créées par des protestants, 12 par des orthodoxes et 7 par des arméniens, tandis que 140 concernent le culte israélite, 10 les cultes bouddhistes et une cinquantaine la religion musulmane.

    C’est le préfet qui, consulté par un service public, est chargé de vérifier si une association remplit les deux critères fixés par le Conseil d’Etat pour bénéficier des avantages de l’association cultuelle, à savoir la poursuite d’un objet exclusivement cultuel et le respect de l’ordre public. Cette règle est notamment appliquée par l’administration des impôts qui n’accepte de consentir les avantages fiscaux liés au statut d’association cultuelle qu’après avoir pris l’avis des services préfectoraux territorialement compétents. C’est notamment sur la base de tels avis que la Direction générale des impôts a demandé que tous les édifices cultuels des associations locales des Témoins de Jéhovah soient assujettis à la taxe foncière.

    La position de la Direction générale des impôts repose sur une lecture stricte de la loi de 1905. Elle considère que les associations de Témoins de Jéhovah n’ont pas pour objet exclusif l’exercice public d’un culte et n’entrent par conséquent pas dans la catégorie des associations cultuelles. Elle juge par ailleurs que sa position est conforme à l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme qui garantit la sphère des convictions personnelles et des croyances religieuses. En se fondant sur cet article, la Cour européenne des droits de l’homme a reconnu aux Témoins de Jéhovah le droit de manifester leur religion, notamment dans son arrêt " Kokkinakis ". Cependant, l’administration fiscale considère que cette jurisprudence ne confère pas le statut cultuel aux associations jéhovistes, statut régi par des dispositions spécifiques et demandant le respect de conditions particulières.

    Les préfets n’ont pas adopté une position aussi claire. Nonobstant la jurisprudence du Conseil d’Etat qui, comme on va le voir, considère que les Témoins de Jéhovah ne respectent pas l’ordre public, les préfets consultés par l’administration fiscale ont rendu des avis divergents. Contrairement à la décision de la Haute juridiction, les préfets de la Guyane et de la Saône-et-Loire ont considéré que les associations locales des Témoins de Jéhovah respectaient l’ordre public, et pouvaient par conséquent se prévaloir d’un statut cultuel. D’autres ont refusé de se prononcer en ne prenant pas position ou en renvoyant l’administration fiscale vers le bureau central des cultes, qui n’est pourtant pas habilité à apprécier la situation particulière d’une association.

    La position de l’administration sur le statut d’association cultuelle est donc loin d’être homogène, et l’on observe, pour la même secte, de telles divergences d’appréciation que la loi de 1905 apparaît aujourd’hui comme d’interprétation aussi ambiguë qu’aléatoire.

    La Commission considère qu’il est urgent de rappeler, par la voie d’une circulaire, les principes qui fondent la séparation des églises et de l’Etat. Ce dernier n’est pas habilité par la loi à reconnaître quelque culte que ce soit, sauf dans la situation particulière de l’Alsace-Moselle, et ses services ne sont donc pas compétents pour se prononcer sur le caractère cultuel de telle ou telle secte.

    S’agissant par ailleurs de l’octroi des avantages prévus par la loi de 1905, il est indispensable que les conditions fixées par le Conseil d’Etat soient appliquées de manière homogène sur l’ensemble du territoire. Il est donc nécessaire de rappeler aux préfets les critères de l’association cultuelle tels qu’ils ont été fixés par la Haute juridiction, et l’application qu’elle en a faite dans le cas particulier des Témoins de Jéhovah

    3.– Un statut soumis aux hésitations du juge

    Le juge n’a pas adopté une attitude unanime face aux sectes : plusieurs juridictions administratives ont accordé le statut cultuel à des associations sectaires. Même si elles ont fait l’objet d’appel et ne sont donc pas pour le moment définitives, ces décisions constituent un premier pas vers une reconnaissance du caractère religieux des mouvements sectaires.

    Plusieurs sectes ont déféré au juge administratif le refus opposé à leur demande de bénéficier des avantages liés au statut d’association cultuelle. La plupart des recours portent sur le contentieux fiscal, et notamment sur l’exonération de taxe foncière pour laquelle les associations de Témoins de Jéhovah ont décidé d’engager une bataille juridique de grande envergure, en incitant leurs associations locales à contester devant le juge administratif les décisions d’assujettissement à la taxe foncière dont elles font l’objet. Il s’agit d’un contentieux important : le montant global de la taxe foncière afférente aux " édifices cultuels " dont les associations locales sont propriétaires est estimé à plus de 10 millions de francs par an. Au 1er mars 1999, ces associations avaient présenté 1.577 réclamations puis 1.133 requêtes introductives d’instance devant les tribunaux administratifs.

    Jusqu’à présent, le Conseil d’Etat s’est toujours refusé à reconnaître aux associations de Témoins de Jéhovah le caractère d’association cultuelle. Dans un arrêt d’assemblée daté du 1er février 1985, la Haute juridiction a confirmé le refus opposé par l’administration à l’acceptation d’un legs de 775.000 francs consenti par testament à l’Association chrétienne " les Témoins de Jéhovah de France ". Dans cette décision, le juge a lié la reconnaissance du statut d’association cultuelle à un examen de l’objet et de la nature des activités de l’association, telles qu’elles ressortent de ses statuts. En l’espèce, deux agissements estimés attentatoires à l’ordre public, à savoir l’incitation à ne pas effectuer de service militaire armé et l’hostilité de principe à toute transfusion sanguine, ont pu être considérés comme faisant partie intégrante du culte des Témoins de Jéhovah, et de nature à justifier le refus du statut d’association cultuelle. Le Conseil d’Etat a estimé que " les activités menées par l’Association chrétienne " les Témoins de Jéhovah de France " sur la base des stipulations de ses statuts en vigueur à la date du décret attaqué ne confèrent pas dans leur ensemble, en raison de l’objet ou de la nature de certaines d’entre elles, le caractère d’une association cultuelle au sens de la loi du 9 décembre 1905 ".

    Pour sa part, la Commission estime qu’au-delà des agissements dont fait état la Haute juridiction, ce qui pose fondamentalement problème concernant les Témoins de Jéhovah c’est leur conception diabolisante de la société actuelle et la coupure progressive qu’ils organisent entre celle-ci et leurs adeptes.

    La décision de 1985 complétait une jurisprudence antérieure. Elle venait en effet préciser les critères jurisprudentiels de la notion d’association cultuelle, définis par le Conseil d’Etat dans un arrêt du 21 janvier 1983 " Association Fraternité des serviteurs du monde nouveau ". En 1983, la Haute juridiction s’était contentée de vérifier si l’association requérante avait bien pour objet exclusif l’exercice d’un culte. En l’espèce, l’existence d’activités statutaires extérieures à cet objet, et notamment l’édition et la diffusion de publications doctrinales, étaient, aux yeux du juge, de nature à justifier le refus du statut d’association cultuelle.

    L’Association chrétienne " les Témoins de Jéhovah de France ", pour pouvoir bénéficier du legs qui lui était consenti par testament, avait modifié ses statuts, afin d’en extraire toute stipulation extérieure à l’exercice d’un culte, et notamment toutes les dispositions relatives à ses activités d’imprimerie. Le Conseil d’Etat a cependant estimé que cette mise en conformité ne changeait pas la réalité des activités des Témoins de Jéhovah. Dans l’arrêt précité du 1er février 1985, la Haute juridiction, suivant les conclusions du commissaire du Gouvernement, ne s’est pas arrêtée à la forme juridique qu’a voulu se donner l’association requérante en mettant ses statuts en conformité avec la loi de 1905, mais s’est appliquée à examiner la nature de ses activités.

    Le Conseil d’Etat vient de réaffirmer sa position dans un avis rendu le 24 octobre 1997 dans lequel il rappelle que le respect du caractère exclusivement cultuel " est apprécié au regard des stipulations statutaires de l’association et de ses activités réelles " et qu’" une association dont les activités pourraient porter atteinte à l’ordre public ne peut bénéficier du statut d’association cultuelle ".

    Bien qu’elle ait été récemment réaffirmée, la motivation retenue par le Conseil d’Etat n’a pas reçu une application uniforme sur le territoire. Sur les 1.133 requêtes introduites, le juge de première instance a d’ores et déjà prononcé 305 jugements, dont 248, soit 80 % , ont reconnu la qualité d’association cultuelle et, par suite, ordonné la décharge de la taxe foncière. En revanche, 52 jugements rendus par les tribunaux administratifs de Nancy et de Clermont-Ferrand ont maintenu l’imposition contestée. Le juge de Clermont-Ferrand a par exemple suivi le Conseil d’Etat dans un jugement du 16 décembre 1997, et a refusé le caractère d’association cultuelle à l’Association locale pour le culte des Témoins de Jéhovah de Riom en considérant " qu’il est de notoriété publique que les Témoins de Jéhovah refusent les transfusions sanguines et l’accomplissement du service national ".

    La Direction générale des impôts a systématiquement interjeté appel des décisions favorables aux associations de Témoins de Jéhovah. Le juge d’appel a ainsi été saisi de 210 requêtes non encore examinées. Il faudra par conséquent attendre les décisions futures des cours administratives d’appel puis, le cas échéant, du Conseil d’Etat.

    Si, à l’issue de ce contentieux, la jurisprudence administrative devait être inversée et aboutir à une reconnaissance de la qualité cultuelle des associations sectaires, la Commission considère qu’il conviendrait de réexaminer les textes. Une telle reconnaissance entraînerait le bénéfice d’avantages financiers et fiscaux dérogatoires au droit commun des associations et, surtout, donnerait aux mouvements sectaires la reconnaissance religieuse qu’ils revendiquent. Elle ouvrirait la voie à des abus particulièrement dommageables. Il suffirait en effet à toute association, quelle que soit la nature de ses activités, de se doter d’un caractère religieux en donnant à ses statuts un objet exclusivement cultuel, pour que lui soient attribués le bénéfice de la loi de 1905 et la reconnaissance implicite qui lui est liée.

    4.– Le régime de protection sociale des cultes

    Selon les dispositions des articles L. 381-12 et suivants du code de la sécurité sociale, les ministres des cultes et les membres des congrégations et des collectivités religieuses relèvent, en principe, du régime général de la sécurité sociale, mais peuvent demander à bénéficier du régime particulier des cultes.

    Ce régime, qui a donc un caractère subsidiaire, est géré par la Caisse des cultes qui comporte, pour la branche maladie, la Caisse mutuelle d’assurance maladie des cultes (CAMAC), et pour la branche vieillesse, la Caisse mutuelle d’assurance vieillesse des cultes (CAMAVIC).

    Sont affiliés à ce régime principalement les clergés catholique et orthodoxe, les pasteurs évangéliques et les ministres de certaines communautés bouddhistes et hindouistes. L’Eglise réformée de France a, pour sa part, choisi de relever du régime général de la sécurité sociale.

    La cotisation d’assurance-maladie s’élève à 11.600 francs par an pour un non pensionné et à 3.600 francs pour un pensionné (alors qu’il n’y a pas de cotisation pour la retraite de base du régime général et une cotisation de 1 % pour la retraite complémentaire).

    La cotisation d’assurance-vieillesse est soumise au taux de droit commun de 16,35 % mais avec la valeur du SMIC comme assiette forfaitaire.

    L’intérêt principal du régime des cultes tient à quatre éléments :

    L’affiliation au régime des cultes relève des décisions du Conseil d’administration de la Caisse. En cas de difficulté, il peut être fait appel à une commission consultative, convoquée par le ministre chargé des Affaires sociales, mais qui ne s’est pas réunie depuis 5 ans.

    À la connaissance de la Commission, deux organisations sectaires ont présenté une demande d’affiliation : l’Eglise de Scientologie de Paris en 1989, qui n’a pas fait appel de la décision de refus qui lui a été opposée, et la Communauté chrétienne des Béthélites, association des Témoins de Jéhovah, le 28 octobre 1996. Les conseils d’administration de la CAMAC et de la CAMAVIC ont également rejeté cette demande en juin 1997. La Communauté a saisi le Tribunal des Affaires sociales.

    La Commission ne saurait se prononcer sur une affaire judiciaire en cours, mais appelle l’attention des pouvoirs publics sur la nécessité de fixer désormais au moins quelques règles générales pour l’affiliation au régime des cultes. Il ne semble exister, en effet, à l’heure actuelle, ni doctrine en la matière, ni instrument de cohérence avec des décisions administratives, telles que celles relatives à l’exonération de taxe foncière pour les associations cultuelles.

    Par cette carence, risquent d’être encouragées, bien au-delà des deux seuls cas que nous venons d’évoquer, les tentatives, par des organisations sectaires, de se faire reconnaître comme culte, en bénéficiant de plusieurs éléments de leur statut.

    c.— l’utilisation de la législation relative à la vie politique

    Peu de mouvements sectaires ont, jusqu’à présent, utilisé la législation sur la vie politique. Le Mouvement humaniste et la Méditation transcendantale sont les seuls exemples d’organisations sectaires constituées en groupements politiques en France. Cette législation offre pourtant aux sectes une reconnaissance publique, une tribune et des avantages financiers qui, sans aménagement des règles actuelles, risquent de favoriser leur développement.

    1.– Une législation offrant un statut et des avantages financiers propices au développement du phénomène sectaire

    a) Les avantages liés au statut de parti politique

    L’article 4 de la Constitution dispose que les partis politiques " se forment et exercent leur activité librement ". Ce principe constitutionnel de liberté d’exercice des activités politiques fait bénéficier les formations politiques d’une entière liberté de création. Il en résulte notamment que tout mouvement sectaire peut constituer un parti politique et profiter des avantages liés à ce statut, notamment des dispositifs de financement public mis en place depuis 1988.

    · Une législation très libérale

    La loi du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique a réaffirmé, en son article 7, le principe constitutionnel de liberté d’exercice des activités politiques. Les seules obligations auxquelles cette loi soumet la formation et le fonctionnement des partis politiques portent sur leur financement. Il s’agit au demeurant d’obligations purement déclaratives.

    La loi du 15 janvier 1990 relative à la limitation des dépenses électorales et à la clarification du financement des activités politiques a prévu la désignation par les partis d’une personne morale ou physique mandatée pour recueillir des fonds. Lorsqu’un parti choisit de recourir à une personne morale, l’association de financement ainsi désignée doit être agréée par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CCFP) qui ne dispose, en la matière, d’aucun pouvoir d’appréciation. Le principe de la liberté de constitution des formations politiques interdit en effet à la CCFP de soumettre son agrément à une quelconque appréciation sur le caractère réel et sérieux du projet développé par le groupement concerné. Au demeurant, les partis politiques ont la possibilité de recourir à une personne physique qui n’a pas à être agréée.

    L’agrément donné par la CCFP aux associations de financement des partis politiques ouvre pourtant droit à deux dispositions non négligeables.

    En premier lieu, en application de l’article 200.2.bis du code général des impôts, les dons versés aux associations de financement des partis politiques agréées donnent droit à une réduction d’impôts pour les donateurs personnes physiques. La loi du 15 janvier 1990 précitée octroyait un avantage similaire pour les personnes morales. Cet avantage, prévu à l’article 238 bis-6° du code général des impôts, a été attribué avant d’être abrogé par la loi du 19 janvier 1995 qui a, on va le voir, interdit la plupart des dons de personnes morales.

    En second lieu, par dérogation au principe général d’interdiction des dons émanant de personnes morales, toute association de financement agréée peut consentir des dons à une autre formation politique ou, à l’inverse, recevoir des dons d’une autre formation. En effet, la loi du 19 janvier 1995 a interdit le financement des partis par versement de dons émanant de personnes morales, à l’exception des dons consentis par d’autres groupements. Or, en l’absence de définition légale du parti politique, la CCFP a élaboré une doctrine, validée par une décision du Conseil constitutionnel en date du 13 février 1998, selon laquelle sont autorisées à verser des dons à une formation politique donnée, toutes les autres formations qui bénéficient de l’aide budgétaire publique, ou qui ont désigné un mandataire financier et se sont conformées aux obligations comptables prévues par la loi. Il en résulte bien que l’agrément des associations de financement ouvre droit à réception et versement de dons émanant d’autres formations politiques ou destinés à cette même catégorie d’organismes.

    Le recours à une association de financement permet donc de bénéficier, sans autorisation de l’administration, de deux avantages qui sont refusés aux simples associations déclarées : la possibilité de faire bénéficier ses donateurs personnes physiques de réductions fiscales, et le droit de recevoir certains dons. Ces dispositions peuvent très facilement être utilisées par des mouvements sectaires qui choisiraient de recourir au statut de groupement politique. Il suffirait à la secte de se constituer en parti politique, de demander l’agrément d’une association de financement à la CCFP qui l’accorde indépendamment du projet du parti considéré, et de bénéficier ainsi de l’utilisation d’un avantage fiscal et de la possibilité de recevoir certains dons.

    Les partis sont par ailleurs tenus de tenir une comptabilité et de la déposer chaque année à la CCFP. Si cette dernière est destinataire des comptes des groupements politiques dont elle assure une publication sommaire, elle n’a cependant pas un pouvoir de contrôle des opérations retracées dans ces comptes et n’est pas habilitée à porter un jugement sur l’opportunité des dépenses engagées par les partis.

    Son rôle se limite à :

  • constater les manquements aux règles d’établissement des comptes ainsi que les infractions relatives aux dons de personnes physiques ou morales ;
  • publier les comptes au Journal officiel sous une forme simplifiée ;
  • arrêter et transmettre la liste des formations politiques ayant rempli leurs obligations comptables et déclaratives, et pouvant par conséquent prétendre au bénéfice de l’aide budgétaire publique.
  • · Les exemples de constitution de partis politiques par des mouvements sectaires

    La vie politique française a assisté à l’émergence de deux partis issus de mouvements sectaires et décidés à utiliser le statut de formation politique pour propager leur message. Leur stratégie semble se confirmer, puisqu’ils ont déposé une liste pour les élections européennes du 13 juin 1999.

    La branche française de la Méditation transcendantale a constitué, le 8 juin 1992, un parti politique dénommé Parti de la loi naturelle (PLN). Il s’apparente à des formations similaires créées, à l’initiative du fondateur de la secte, Maharishi Mahesh Yogi, dans 35 pays différents dont l’Australie, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et l’Allemagne. Le PLN s'est fixé comme objectif de propager les idées de Maharishi. Selon ce dernier, l’organisation politique doit se conformer à la " loi naturelle " et les affaires du monde doivent être confiées à un groupe pratiquant la méditation transcendantale et le vol " yogique ". La campagne des élections législatives a été l’occasion pour M. Benoît Frappé, président du PLN, de préciser son programme : créer un groupe de 7.000 professionnels de la science védique pratiquant les préceptes de Maharishi, cette seule mesure permettant une baisse de 10 à 20 % du chômage par an, ainsi qu’un recul des maladies et de la criminalité. Le PLN a depuis peu lancé deux nouveaux thèmes : l’interdiction des aliments transgéniques et un " projet pilote de création de cohérence " en Corse consistant à réunir 200 à 400 experts en vol yogique afin de faire baisser la violence et de rétablir l’ordre sur l’île.

    Le PLN déclare compter entre 20.000 et 40.000 membres. Il dispose actuellement d’une quinzaine d’unités locales. Il a présenté des candidats à toutes les élections organisées depuis 1993. Ses candidats ont recueilli environ 26.000 suffrages aux élections législatives de 1993, puis un peu plus de 100.000 suffrages aux européennes de 1994. Il semble cependant être en perte de vitesse en n’ayant recueilli que 11.329 voix aux législatives de 1997.

    Dès sa création, le PLN s’est conformé à la législation sur le financement de la vie politique en désignant le 1er juin 1992 à la préfecture du Val d’Oise un mandataire financier en la personne de M. Philippe Couturier. Il a, en 1995, remplacé ce mandataire par une association de financement déclarée à la préfecture de police de Paris le 13 janvier 1995. Cette association a reçu l’agrément de la CCFP par une décision datée du 17 mars 1995. Elle est actuellement présidée par M. Jean-Paul Hubert, M. Philippe Couturier étant son trésorier.

    Les comptes déposés par le PLN à la CCFP font apparaître un niveau de résultat très variable selon l’exercice : le budget du parti est passé d’environ 147.000 francs en 1992 à plus de 902.000 francs en 1997. Les principales ressources déclarées proviennent, en dehors de l’aide budgétaire publique qui sera examinée plus loin, des cotisations des adhérents (variant de 22.000 francs en 1996 à plus de 172.000 francs en 1993) et de dons de personnes physiques (près de 360.000 francs en 1997), ouvrant droit à réduction d’impôts. Huit personnes morales ont versé des dons entre 1993 et 1994, et ont par conséquent pu bénéficier de l’avantage fiscal alors en vigueur, pour des montants peu importants se situant entre 200 et 15.000 francs. Les principaux postes de dépenses sont les frais de propagande et de communication, les achats et les services, ainsi que, depuis 1995, les charges de personnel liées à l’emploi de salariés. Enfin, le bilan au 31 décembre 1996 fait apparaître un portefeuille de valeurs mobilières de placement de 167.876 francs, et celui au 31 décembre 1997 une dette de 25.515 francs contractée par emprunt auprès d’un établissement de crédit.

    Le Mouvement humaniste est la seconde organisation sectaire utilisant la réglementation française relative à la vie politique. Le Parti humaniste (PH) s’est constitué le 10 avril 1984 sous la forme d’une association déclarée à la préfecture de police de Paris. Il est actuellement présidé par M. Didier Gay. L’objet de cette association recouvre un programme politique très général axé autour d’un renforcement de la pratique démocratique et de la promotion de nouvelles réponses aux problèmes de la société. Le PH se rattache à la maison mère du mouvement humaniste créée en Argentine par le fondateur de la secte, M. Luis Mario Rodriguez Cobo, alias Silo. Il a obtenu 3.508 voix aux élections législatives de 1997.

    Afin de bénéficier de l’aide publique, le PH s’est mis en conformité en 1997 avec les dispositions de la loi du 15 janvier 1995. Il a constitué le 24 mars 1997 une association de financement déclarée à la préfecture de police de Paris et présidée par M. Jean-Claude Violleau. Cette association a reçu l’agrément de la CCFP le 13 mai 1997.

    Compte tenu du caractère récent de cet agrément, seuls les comptes relatifs à 1997 ont, pour le moment, été publiés au Journal officiel. Ils font apparaître un total de recettes de 95.224 francs exclusivement tirés de dons de personnes physiques, sur lesquels 93.794 francs ont été utilisés pour la prise en charge directe de dépenses électorales des candidats. Les donateurs du PH ont pu, comme ceux du PLN, bénéficier de la réduction d’impôts attachée aux dons versés au mandataire financier de toute formation politique.

    b) Le bénéfice de l’aide budgétaire publique

    Les partis politiques peuvent bénéficier depuis 1988 d’une aide financière inscrite au budget de l’Etat. Depuis la loi du 15 janvier 1990 cette aide, soit au total 526,5 millions de francs en 1999, est divisée en deux fractions égales, la première versée selon des critères très souples, la seconde soumise à des conditions beaucoup plus restrictives.

    La première fraction est ouverte, d’une part, à toute formation politique qui a présenté au moins 50 candidats aux dernières élections législatives (le seuil de 5 % de voix, voté par le Parlement en 1990, ayant été annulé par le Conseil constitutionnel) et, d’autre part, aux formations ayant présenté des candidats exclusivement outre-mer. Aujourd’hui, 86 partis ou groupements bénéficient de cette première fraction.

    En revanche, le bénéfice de la seconde fraction est lié à une représentation au Parlement. Compte tenu du mode d’élection des parlementaires, seule une vingtaine de partis ou groupements émargent à la seconde fraction.

    L’annulation par le Conseil constitutionnel du seuil, exprimé en pourcentage des suffrages, prévu par le législateur pour bénéficier de la première fraction a permis aux deux partis sectaires de recevoir une aide budgétaire publique. En l’état actuel de la législation de la vie politique, c’est par conséquent l’Etat qui finance une partie non négligeable de la propagation des idées défendues par les deux sectes intéressées.

    De 1993 à 1999, le Parti de la loi naturelle a reçu de l’Etat, au titre de la première fraction de l’aide budgétaire publique, un total de 1.668.561 francs. Conformément à la loi de 1990, l’aide lui a été ouverte sur le seul fondement du nombre des candidats présentés aux élections législatives. Bien qu’il n’ait obtenu que 26.254 voix aux élections législatives de mars 1993, le PLN a présenté 125 candidats, soit un nombre suffisant pour pouvoir bénéficier de la première fraction. Ces résultats lui ont permis de recevoir chaque année, au titre de la dixième législature, une aide moyenne d’environ 284.000 francs. L’aide actuellement versée est calculée sur la base des résultats obtenus aux élections législatives de 1997 pour lesquelles le PLN a présenté 89 candidats et recueilli 11.329 voix. Ces résultats ont entraîné le versement par l’Etat en 1999 d’une aide de 123.489 francs, et entraîneront le versement d’un montant équivalent jusqu’à la fin de l’actuelle législature.

    Le Parti humaniste a présenté 89 candidats aux élections législatives de 1997, ce qui, malgré la modicité du nombre de suffrages qu’il a obtenus lui donne droit à la première fraction de l’aide publique. Ainsi, 38.225 francs en 1998 et 38.238 francs en 1999 lui ont été versés par l’Etat. Une somme équivalente lui sera versée chaque année jusqu’à la fin de la XIème législature.

    c) Le remboursement des dépenses de campagne électorale

    Indépendamment de l’aide budgétaire annuelle dont bénéficient les formations politiques, la loi du 15 janvier 1995 a institué un remboursement forfaitaire des dépenses électorales engagées par les candidats. Tout candidat à une élection, à l’exception des élections sénatoriales et présidentielles, qui se présente dans une circonscription de plus de 9.000 habitants, est remboursé de la moitié de ses dépenses électorales, dans la limite d’un plafond, s’il a obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés au premier tour de l’élection considérée.

    Le bénéfice de cette disposition est lié au respect par le candidat des plafonds des dépenses électorales prévus par la loi, du dépôt d’une déclaration de situation patrimoniale s’il y est par ailleurs astreint, et des obligations relatives à l’établissement et au dépôt d’un compte de campagne.

    Pour les élections concernées par le remboursement forfaitaire, les candidats ne peuvent recueillir des fonds en vue du financement de leur campagne que par l’intermédiaire d’un mandataire qui est soit une association soit une personne morale. Chaque candidat ou candidat tête de liste soumis à un plafonnement de ses dépenses électorales est tenu d’établir un compte de campagne et de le déposer à la préfecture accompagné de ses pièces justificatives.

    Les comptes de campagne sont transmis à la CCFP qui les approuve, les rejette ou les réforme, et en assure la publication au Journal officiel sous une forme simplifiée. Sa décision d’approbation conditionne le droit à remboursement. Le contrôle exercé par la CCFP est cependant de nature strictement comptable : il permet notamment de déceler des éventuels dépassements de plafonds réglementaires, ou de faire respecter les dispositions législatives relatives aux dons. La CCFP ne dispose en revanche d’aucun pouvoir d’appréciation de la nature des dépenses engagées par les candidats.

    Les mouvements sectaires peuvent trouver dans le mécanisme de remboursement des dépenses électorales un moyen de faire financer par l’Etat leur propagande, le remboursement n’étant pas lié à un examen de la nature du projet politique développé. Dans la pratique, toute personne membre ou proche d’une secte peut se porter candidat à une élection, déclarer à la préfecture un mandataire personne physique ou une association de financement électorale, et se faire rembourser par l’Etat, à la seule condition d’atteindre 5 % des suffrages exprimés au premier tour, la moitié de ses dépenses. On peut cependant estimer que l’existence du seuil de 5 % limite le bénéfice de cette disposition.

    Même si les résultats obtenus par la Méditation transcendantale ne semblent pas avoir entraîné de remboursement public, ses comptes de campagne sont riches d’enseignements. À titre d’exemple, la Commission a constaté que M. Benoit Frappé, président du Parti de la loi naturelle, a conduit une liste aux élections européennes de 1994 pour lesquelles il a déposé un compte faisant apparaître des dépenses totales d’un montant de 943.995 francs. Il a déclaré avoir financé l’essentiel de ses dépenses grâce à :

    En revanche, pour les élections législatives de 1993 et 1997 où il se présentait dans la 4ème circonscription du Val d’Oise, M. Benoît Frappé a déclaré n’avoir dépensé que respectivement 17.159 et 1.428 francs, financés pour l’essentiel par des apports personnels, soit des montants apparemment peu conciliables avec le coût d’une campagne.

    d) L’accès aux temps d’antenne de la campagne radiotélévisée

    Les partis ou groupements politiques peuvent utiliser les antennes du service public de radiodiffusion et de télévision pour leur campagne électorale. Cet accès constitue une autre modalité de financement public de la propagande des partis, le coût de la campagne radiotélévisée étant pris en charge par l’Etat, pour des montants non négligeables et en hausse régulière. Le coût public de la campagne radiotélévisée des élections législatives s’est par exemple établi à 14 millions de francs en 1988, 41,6 en 1993 et 53,8 en 1997.

    Les conditions d’accès à la campagne radiotélévisée ont été définies de manière suffisamment large pour que les petites formations puissent en bénéficier. Par exemple, en application de l’article L. 167.1 du code électoral, tout parti ou groupement présentant au premier tour de scrutin des élections législatives au moins 75 candidats a accès aux antennes pour une durée de 7 minutes au premier tour et de 5 minutes au second.

    Des mouvements sectaires ont trouvé dans ces dispositions non seulement une nouvelle opportunité de faire financer par l’Etat leur propagande, mais aussi une tribune pour propager leur message et un brevet apparent de respectabilité. Dans son rapport sur la campagne des élections législatives de 1997, le Conseil supérieur de l’audiovisuel s’est fait l’écho de l’accès du Parti de la loi naturelle et du Parti humaniste à la campagne radiotélévisée. Il relève notamment que parmi les 17 formations non représentées par un groupe à l’Assemblée nationale, mais admises au bénéfice de cette campagne, " certaines délivraient un message dont le contenu n’était pas réellement politique ". Le même rapport ajoute que " plusieurs observateurs n’ont pas hésité à prononcer le mot de secte pour désigner quelques-unes de ces formations, dont une avait été d’ailleurs citée dans le rapport de la commission d’enquête parlementaire sur les sectes ".

    Le Conseil supérieur de l’audiovisuel soulève les difficultés que présente l’application des dispositions sur l’accès à la campagne radiotélévisée. Ces difficultés revêtent une acuité particulière lorsqu’elles s’appliquent à des formations émanant d’organisations sectaires. Les conditions d’accès à la campagne ont été fixées, s’agissant des élections législatives et européennes, à une époque où la vie politique était dominée par des partis représentés par un groupe parlementaire. Avec la multiplication des formations dénuées d’une telle représentation, l’application de ces conditions aboutit à des résultats qui peuvent sembler peu conformes à une juste répartition des temps de parole. Est-il normal qu’aux dernières élections européennes et législatives, le Parti de la loi naturelle ait disposé du même temps de parole que, par exemple, les partis issus du mouvement écologique ?

    2.– Les possibilités d’aménagement de la législation

    La Commission constate que les dispositions relatives au financement de la vie politique peuvent, avec une facilité déconcertante, être utilisées par des sectes et favoriser ainsi leur développement. S’il est vrai que, compte tenu de la relative modicité des sommes en cause, l’exemple des deux formations citées n’a pas révélé une utilisation massive du financement public, il n’en est pas moins révélateur de risques de dérives à plus grande échelle.

    C’est pourquoi la Commission recommande plusieurs aménagements.

    Ne convient-il pas, en premier lieu, de soumettre le bénéfice de la première fraction de l’aide budgétaire annuelle à l’obtention d’un seuil de voix aux dernières élections législatives ?

    Cette première recommandation serait de nature à empêcher que l’Etat ne finance, chaque année, la propagande de mouvements sectaires, sans pour autant entraver l’expression de nouveaux courants d’idées et d’opinions. Suggéré à plusieurs reprises par le Conseil constitutionnel, un tel aménagement semblerait conforme à sa décision du n° 89-271 du 11 janvier 1990, dans laquelle le Conseil a annulé les 5 % votés en raison du niveau du seuil choisi, et non en raison du principe même d’un seuil.

    Il serait également opportun de réserver l’accès à la campagne radiotélévisée aux formations politiques qui ont désigné un représentant national parrainé par un nombre d’élus locaux qui pourrait également varier en fonction l’élection.

    Cette deuxième proposition s’inspire du dispositif instauré pour les élections présidentielles françaises et de la législation en vigueur dans des pays européens, comme l’Italie.

    D.— Les vitrines humanitaires des sectes et le recours au statut d’organisation non gouvernementale

    La plupart des sectes sont présentes dans plusieurs zones géographiques, ont des activités, notamment économiques, transfrontalières, et s’appuient sur des structures internationales parfaitement organisées. Plusieurs d’entre elles ont une position internationale suffisamment importante pour participer à des conférences officielles, comme le montre l’exemple récent de la session de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) qui s’est tenue à Vienne le 22 mars 1999, et dont certaines délégations étaient composées de scientologues ou de témoins de Jéhovah. Certaines sectes, attirées par l’importance des enjeux financiers en cause, utilisent l’action humanitaire pour acquérir auprès du public une reconnaissance et profiter de la relative mansuétude des organisations internationales, parfois moins exigeantes que les Etats dans l’octroi de leurs subventions et l’accès à leurs tribunes.

    Le caractère international des pratiques sectaires pousse les mouvements en cause à recourir au statut d’organisation non gouvernementale (ONG), et, de fait, plusieurs sectes ont été reconnues comme telles. Il s’agit d’un statut auquel, en absence de définition juridique claire, l’accès est relativement facile, et qui, jusqu’à une époque récente, n’emportait pas d’effet en droit interne.

    La convention européenne du 24 avril 1986 dont la ratification vient d’être autorisée par le Parlement français donne aux ONG une reconnaissance juridique beaucoup plus large que par le passé. Dictée par la nécessité de faciliter l’activité des ONG dont l’action se heurte souvent aux règles nationales de leurs lieux d’implantation, cette convention offre aux sectes une arme supplémentaire pour obtenir des Etats signataires des droits nouveaux. Comme la loi de 1901, il s’agit d’un dispositif juridique, certes nécessaire à l’exercice d’une activité essentielle aux relations internationales, mais que les sectes pourront utiliser, voire dévoyer, pour asseoir leur influence et développer leurs activités.

    1.– Un statut mal défini, mais offrant des avantages non négligeables

    a) La notion et le statut d’ONG

    Les ONG déploient leurs activités dans des secteurs aussi divers que le domaine économique, social, éducatif, culturel, de la défense des droits de l’homme, de l’environnement ou du développement. L’Union internationale des associations recensait, en 1996, 138.000 ONG, dont 65.000 en Europe. Lorsqu’elles sont implantées dans plusieurs États, il est convenu de les désigner sous l’appellation d’organisation internationale non gouvernementale (OING).

    La grande diversité des structures et de leurs objectifs rend difficile la définition juridique des ONG. Le terme est inclus dans l’article 71 de la Charte des Nations Unies : " le Conseil économique et social peut prendre toutes dispositions utiles pour consulter les organisations non gouvernementales qui s’occupent de questions relevant de sa compétence ". La résolution 288 B(X) du 27 février 1950 du Conseil économique et social a ajouté qu’il s’agit d’" une organisation qui n’est pas créée par voie d’accords intergouvernementaux ".

    Les droits des ONG bénéficiant d’un statut consultatif ont été précisés par des textes récents. La loi autrichienne sur les associations du 31 mars 1992 reconnaît le bénéfice de la convention européenne du 24 avril 1986, examinée plus loin, aux organismes disposant d’un statut consultatif auprès d’une organisation internationale. De même, un protocole additionnel à la Charte Sociale Européenne en date du 9 novembre 1995 donne une véritable dimension juridique à la notion de statut consultatif. L’article 1er de ce protocole dispose en effet que " les parties contractantes (…) reconnaissent aux organisations internationales dotées du statut consultatif auprès du Conseil de l’Europe (…) le droit de faire des réclamations alléguant une application non satisfaisante de la Charte ".

    Comme la Charte des Nations Unies les y invitait, de nombreuses ONG ont demandé à être régulièrement consultées par les organisations internationales (Nations Unies, Conseil de l’Europe, Agence de la francophonie …). Ces organismes ont fixé des critères d’admission qui se révèlent, la plupart du temps, relativement faciles à remplir. Le Conseil économique et social de l’ONU a notamment défini de manière très large ses critères d’admissibilité. Ainsi, 577 ONG disposent actuellement d’un statut consultatif auprès de ce Conseil, 585 auprès de l’UNESCO et 369 auprès du Conseil de l’Europe.

    Les ONG constituent donc des organismes sans but lucratif créés par des initiatives privées qui peuvent bénéficier d’une reconnaissance par une instance intergouvernementale. Elles se différencient des structures associatives nationales par le caractère international de leur composition et de leurs objectifs. Cependant, les implantations, établissements ou sections d’une ONG restent des personnes morales soumises au droit de l’Etat où se trouve leur siège respectif. La majorité des Etats européens ne prévoit aucun statut spécifique aux ONG et les règles qui leur sont applicables sont celles qui régissent les associations, fondations, syndicats, mutuelles ou tout autre organisme à but non lucratif.

    Une même organisation aura donc une personnalité et une capacité juridiques différentes selon l’Etat d’implantation. C’est justement ce particularisme juridique, considéré par certains comme contraire au développement des ONG, qui a motivé la convention de 1986 et abouti à un dispositif qui dispense les ONG implantées dans plusieurs pays de créer une nouvelle personne morale.

    b) Des avantages non négligeables

    Bien qu’il soit facile à obtenir, le statut d’ONG apparaît auprès du public comme un véritable label de crédibilité internationale.

    Il offre une tribune dans la mesure où le statut consultatif donne le droit d’assister à des débats, d’en recevoir les Dossiers préparatoires, d’apporter un point de vue au sein de commissions et de soumettre des rapports écrits. Une telle tribune facilite indéniablement le " lobbying " exercé par les ONG. Ces dernières sont ainsi admises aux grandes conférences internationales et peuvent y prendre la parole, certains pays comme la France les intégrant dans leurs délégations.

    Le statut d’ONG confère également une notoriété très utile dans l’accès aux importantes contributions bénévoles du public. En France, l’ensemble des ONG collecte chaque année un milliard de francs. S’y ajoutent les financements publics, d’ampleur moindre, consentis directement par les institutions internationales aux organisations qu’elles ont reconnues.

    c) Les exemples de sectes reconnues ONG

    Plusieurs exemples de sectes bénéficiant du statut d’ONG ont été portés à la connaissance de la Commission.

    Humana, secte répertoriée dans le rapport de la précédente Commission d’enquête, est connue en France pour avoir organisé des collectes de vêtements dans des containers disposés, après autorisation, dans des lieux privés ou publics. Aujourd’hui dissoute, cette association appartenait à une organisation plus vaste, fédérée autour de Tvind, organisme danois ayant statut d’ONG. Créé en 1970 pour soutenir l’enfance défavorisée, Tvind a progressivement élargi son objet à la lutte contre la pauvreté au Danemark, puis à l’aide humanitaire internationale. Cette ONG dispose d’importants moyens financiers tirés du produit de la revente de ses collectes, de subventions provenant d’organisations internationales, et des activités des entreprises, parfois coopératives, placées sous son contrôle dans plusieurs régions du monde.

     

    La Méditation transcendantale a, depuis plusieurs années, une activité internationale importante. Elle a participé à la fin des années 1980 à un programme de réhabilitation de prisons au Sénégal. En 1993, forte des liens étroits qu’elle entretient avec le président du Mozambique, M. Joachim Chissano, elle a lancé dans cet État une vaste opération baptisée " Paradis sur terre " qui, sous couvert d’une œuvre humanitaire visant à améliorer le niveau de vie, donnait à la société " Maharishi heaven on earth " le droit d’exploiter plusieurs millions d’hectares de terres. Après les déclarations du Président Chissano confirmant les termes de l’accord conclu avec la secte, le projet a été abandonné. Le Parti de la loi naturelle, organe politique de la Méditation transcendantale, installé, on l’a vu, dans plusieurs pays, a participé, en qualité d’ONG, au sommet de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) organisé à Vienne en 1996.

    Depuis sa création, la secte Sri Chinmoy est bien implantée aux Nations Unies. Au début des années 1970, l’association Sri Chinmoy Church Center crée un groupe à l’ONU. Elle est admise en 1975 comme ONG auprès de cette organisation internationale. La secte utilisera ce statut ainsi que le logo de l’ONU pour organiser des manifestations spectaculaires, comme une marche de la paix en 1983, un concert de la paix en 1984 ou, en 1987 et 1989, une course de la paix. Cette dernière, dans sa version de 1989, comprenait une phase qui avait lieu en France et pour laquelle la secte se recommandait de l’UNESCO, du Ministère de la Jeunesse et des Sports et de la Mission du bicentenaire de la Révolution française. Les soutiens officiels français lui ont cependant été retirés.

    L’Eglise internationale du Christ entretient des liens avec une ONG américaine, Hope World Wide, qui bénéficie d’un statut consultatif auprès du Conseil économique et social de l’ONU. La branche française de la secte verse une participation à l’ONG qui, représentée en France par l’association " Hope France ", a pour objet de créer et d’assurer le fonctionnement de toute œuvre à caractère social, charitable ou de bienfaisance.

    La Brahma Kumaris World Spiritual University, organisation spirituelle de la secte du même nom, a obtenu en 1983, en sa qualité d’ONG, le statut consultatif auprès du Conseil économique et social de l’ONU, puis en 1987 auprès de l’UNICEF. Elle est également associée au Département de l’information publique des Nations Unies. Elle a, en 1986, lancé " l’appel pour le million de minutes de paix " destiné à bâtir " un édifice de paix par sa propre paix intérieure et son implication personnelle ". En 1988, elle a également participé à un projet de " coopération globale pour un meilleur monde ".

    La Soka Gakkaï Internationale est également une ONG avec statut consultatif auprès du Conseil économique et social et du Département de l’information publique des Nations Unies. Son président, M. Daisaku Ikeda, a reçu en 1983 la médaille de la paix décernée par l’ONU. Comme Sri Chinmoy, la Soka Gakkaï a utilisé son statut d’ONG pour tenter de participer, sous le patronage de la Mission créée à cet effet, aux célébrations du bicentenaire de la Révolution française.

    Enfin, la Fédération des femmes pour la paix mondiale, émanation de la secte Moon, se présente comme une des branches de l’ONG " Women’s Federation for World Peace International ". Cette dernière fait état d’un statut consultatif auprès du Conseil économique et social de l’ONU et de son affiliation au Département de l’information de la même organisation.

    2.– La convention européenne du 24 avril 1986

    Si les organisations internationales non gouvernementales (OING) disposent d’un statut dans plusieurs institutions internationales, leurs relations avec les Etats n’étaient jusqu’à une époque récente régies par aucun texte. Ce vide juridique a été comblé au sein du Conseil de l’Europe par l’adoption, le 24 avril 1986, de la convention européenne sur la reconnaissance juridique des OING. Entrée en vigueur le 1er janvier 1991, cette convention s’appliquait, en novembre 1998, à l’Autriche, la Belgique, la Grèce, le Portugal, le Royaume-Uni, la Slovénie et la Suisse. La France a signé cette convention le 4 juillet 1996, et la loi autorisant sa ratification a été promulguée le 18 décembre 1998.

    Cette convention a été interprétée par certains comme propice au développement des activités des sectes en France : elle donnerait en effet la possibilité aux sectes qui, dans un pays signataire de la convention, bénéficient d’une capacité juridique plus large qu’en droit français, d’utiliser leur statut d’OING pour bénéficier automatiquement en France de la même capacité.

    Cette convention a fait l’objet, de la part du Gouvernement français, d’une déclaration interprétative qui vient préciser à la fois son champ d’application et ses effets juridiques. Certains craignent qu’une telle déclaration dont, au demeurant, la portée juridique pose problème, ne suffise pas à décourager l’installation de sectes en France. Elle offre en effet à ces dernières, lorsqu’elles sont constituées en OING, une capacité juridique élargie, et d’autant plus inquiétante que son champ d’application est défini de manière extensive. En outre, les possibilités laissées aux Etats signataires pour refuser l’application de la convention ou pour en restreindre les effets sont particulièrement minces et difficiles à mettre en œuvre dans le cas des sectes.

    a) Un élargissement de la capacité juridique des OING

    Le premier alinéa de l’article 2 de la convention prévoit que France devra reconnaître la personnalité et la capacité juridiques qu’une OING, installée sur le territoire français, aura acquises dans le pays où elle a son siège. Dans le deuxième point de sa déclaration interprétative, le Gouvernement français considère que cette disposition n’a " aucune autre conséquence que celles relatives à la reconnaissance de la personnalité juridique et de la capacité qui en découle en droit français ".

    Bien qu’on puisse regretter son manque de clarté, la déclaration interprétative semble interdire qu’une OING puisse revendiquer en France des droits supérieurs à ceux auxquels le simple statut d’association déclarée lui donne accès. En particulier, plusieurs experts comprennent la convention comme ne donnant pas droit à la capacité juridique normalement réservée aux associations reconnues d’utilité publique, aux associations cultuelles et aux associations de bienfaisance, et notamment à la possibilité de bénéficier de libéralités. De même, le Gouvernement français semble interpréter la convention comme n’ayant aucune incidence fiscale.

    La Commission tient cependant à souligner l’importance des difficultés juridiques créées par cette convention. Au moment où plusieurs pays du Conseil de l’Europe s’apprêtent à adopter, vis-à-vis du phénomène sectaire, une attitude contraire à la position française, elle voit dans ce texte une initiative pour le moins malheureuse dont on n’a pas préalablement mesuré l’ampleur des conséquences, au risque d’ouvrir la voie à des débordements préjudiciables aux travaux engagés depuis quelques années pour lutter contre l’influence des sectes.

    Elle rappelle notamment que le Danemark, membre du Conseil de l’Europe, envisage de reconnaître la Scientologie comme une église officielle, et a constitué à cet effet une commission chargée de déposer un rapport qui servira de base à la décision du ministre des cultes. Une telle reconnaissance aurait des effets juridiques directs au Danemark, puisqu’elle conférerait à la Scientologie des avantages, notamment fiscaux, importants. On voit mal comment, dans l’avenir, la secte n’utiliserait pas la décision danoise pour exiger, notamment en se constituant ONG et en se fondant sur la convention de 1986, le bénéfice des mêmes avantages dans le reste de l’Europe. Si les effets juridiques qu’une reconnaissance par le Danemark pourrait avoir en France prêtent à discussion, tout le monde s’accorde pour reconnaître que son aspect symbolique aurait des incidences au-delà des frontières de cet Etat. Une telle reconnaissance officielle ne pourrait en effet qu’être interprétée comme une forme de légitimation de la secte.

    b) Un champ d’application défini de manière extensive

    L’article 1er de la convention fixe quatre conditions pour qu’une OING puisse demander l’application des dispositions de ce texte, et le premier point de la déclaration interprétative explicite la manière dont la France entend appliquer ces conditions.

    Peuvent ainsi bénéficier de la convention les OING qui ont un but non lucratif d’utilité internationale, qui ont été créées par un acte relevant du droit interne d’une partie, qui exercent une activité effective dans au moins deux Etats et qui ont leur siège statutaire sur le territoire d’une partie et leur siège réel sur le même territoire ou celui d’une autre partie.

    Le bénéfice de la convention est en fait soumis à l’appréciation du " but non lucratif d’utilité internationale " et à l’existence d’une activité effective dans au moins deux Etats, les autres conditions étant formelles. Or, dans sa déclaration interprétative, le Gouvernement a considéré que toute OING bénéficiant d’un statut consultatif ou d’observateur sera présumée remplir ces deux critères. L’ensemble des ONG sectaires mentionnées plus haut pourront donc bénéficier de la convention.

    c) Des possibilités de restriction limitées et difficiles à mettre en œuvre

    Le deuxième alinéa de l’article 2 de la convention prévoit la possibilité, par un pays d’accueil, d’opposer des " restrictions, limitations ou procédures spéciales " à l’exercice des droits dont l’OING bénéficie dans le pays où elle a son siège et dont elle demande l’application. Ces dispositions doivent cependant être dictées par un " intérêt public essentiel ". De même, l’article 4 fixe, de manière limitative, les " motifs d’intérêt général " qui peuvent justifier d’écarter une OING de l’application de la convention. Ainsi, un Etat ne pourra invoquer que les faits suivants : atteinte " à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection des droits et libertés d’autrui ", ou mise en cause des " relations avec un autre Etat ou (du) maintien de la paix et de la sécurité internationales ".

    Sans se prononcer sur la portée juridique exacte de ces dispositions, la Commission souligne combien leur application sera délicate à mettre en œuvre. Elles se combinent difficilement avec l’article 9 de la convention qui prévoit qu’aucune réserve ne sera admise à l’application du texte et, en tout état de cause, elles donneront lieu à un important contentieux dont l’issue, compte tenu de la position adoptée par les juridictions internationales sur le phénomène sectaire, est pour le moins incertaine.

    La Commission considère donc que la convention européenne du 24 avril 1986 ouvre la voie à une reconnaissance officielle, en droit et en fait, des mouvements sectaires internationaux. La déclaration interprétative du Gouvernement français fera en toute hypothèse l’objet d’un abondant contentieux, et permettra aux organisations concernées de faire figure de victimes auprès de l’opinion publique. Dans de telles conditions, il est indispensable que le Gouvernement lance, au sein du Conseil de l’Europe, une campagne de sensibilisation sur les dangers de cette convention.

     

     

    deuxième partie : l’influence des sectes :
    un indéniable poids économique et financier

     

    Si l’on voulait retracer à grands traits l’histoire du mouvement sectaire, aussi bien en France qu’au plan international, il est indéniable que le caractère prédominant de l’évolution qu’il faudrait mettre en avant est celui de l’importance grandissante de l’argent, jusqu’à ce qu’un phénomène, d’abord identifié par sa dangerosité psychologique à l’égard de l’individu, le soit autant aujourd’hui par son poids économique et financier.

    Les mouvements sectaires ont maintenant acquis une influence économique inquiétante et disposent d’un poids financier jusqu’ici encore insoupçonné.

    I.— une influence économique inquiétante

    Après avoir dressé le panorama des activités économiques des sectes, on examinera successivement quelques-uns des points d’application principaux que sont devenus les secteurs de l’éducation, de la santé et de la formation professionnelle.

    A.— panorama des activités économiques des sectes

    Dans la mouvance de la soixantaine d’organisations sectaires qu’elle a plus particulièrement examinées, la Commission a pu dénombrer près de 400 structures ayant une activité économique. La plupart sont des organismes contrôlés en droit ou en fait par la secte, les autres étant des structures économiques dans lesquelles un ou plusieurs adeptes occupent une position stratégique, comme gérant, directeur ou cadres dirigeants.

    Ce panorama, présenté par secte en annexe, n’est qu’une illustration de l’influence économique des sectes : outre le fait qu’il ne porte que sur un nombre limité de mouvements, il ne regroupe que les informations, par définition non exhaustives, que la Commission a pu recueillir dans les délais qui lui étaient impartis.

     

    En revanche, il permet de mettre à jour la stratégie économique des sectes. Il est clair en effet que leurs activités, quoique diversifiées, se déploient plus spécialement dans quelques secteurs de prédilection, visent la pénétration des entreprises et s’appuient sur l’exploitation habile des techniques commerciales.

    1.– Les secteurs de prédilection

    Le premier domaine d’activité des structures économiques sectaires réside dans le secteur du commerce et de la distribution, plus précisément dans la vente de produits alimentaires et diététiques, la vente de programmes aux entreprises (notamment publicitaires, comptables, de gestion et d’aide à la productivité), le commerce de produits agricoles, et la vente d’objets culturels et d’objets d’art et d’artisanat plus ou moins assimilables.

    Elles sont également très présentes dans le secteur de la formation professionnelle et du conseil aux entreprises, le plus souvent dans les domaines des ressources humaines, de la stratégie générale et de la communication institutionnelle. Dans ce secteur, les mouvements sectaires peuvent en effet espérer créer des liens avec des dirigeants d’entreprise ou des cadres supérieurs et faciliter, par cet accès, une politique d’embauche ou de prise de pouvoir de leurs membres à des postes clés.

    Les sectes s’intéressent à un troisième secteur : le développement personnel et les loisirs, généralement sous forme de cours et de conférences, de stages et de séminaires. On les retrouve également dans l’éducation et l’accueil des enfants, notamment sous la forme d’écoles privées couvrant les niveaux primaire et secondaire.

    Certaines se sont spécialisées dans l’informatique, aussi bien au titre du conseil que de la vente et de la maintenance de matériels. Ce secteur présente des caractéristiques précieuses pour les mouvements sectaires. Le développement de logiciels permet de connaître des informations vitales sur des sociétés clientes et de constituer des banques de données sur les personnes, les marchés, les techniques commerciales et financières.

    Enfin, d’autres sectes ont investi les domaines pharmaceutique et médico-social, le plus souvent en liaison avec la mouvance guérisseuse. Leurs cibles privilégiées sont les soins aux toxicomanes, les formations aux médecines nouvelles et les séminaires de guérison. Elles contrôlent également des laboratoires qui fabriquent des produits médicamenteux parallèles, généralement présentés comme des compléments nutritionnels.

     

    2.– La pénétration des entreprises

    La recherche de l’argent par les sectes ne saurait se limiter aux fonds des seules personnes physiques. Le principal gisement de richesses réside bien évidemment dans les entreprises.

    Aussi bien, les mouvements sectaires se sont-ils efforcés de les infiltrer car ils peuvent en attendre trois sortes d’avantages :

    La question de l’infiltration d’entreprises par des mouvements sectaires n’était guère apparue avant le début de la décennie 1990 au cours de laquelle plusieurs affaires d’importance ont été mises à jour.

    C’est principalement la Scientologie et ses nombreuses filiales qui ont investi le monde de l’entreprise et obtenu quelques réussites rapides et spectaculaires.

    Ainsi, la société Dialogic, spécialisée en ingénierie informatique et dont les dirigeants étaient adeptes de la Scientologie, avait obtenu que lui soit confiée par le RAID, service de la Police Nationale, la fabrication d’un logiciel d’aide à la décision permettant de gérer les situations de crise en temps réel.

    Ainsi, le groupe INFI, composé de 7 sociétés spécialisées dans les services informatiques, avait réussi à établir, semble-t-il, des contacts avec des organismes relevant du ministère de la Défense, tels que la Direction technique de l’armement terrestre et le Groupement industriel des armes terrestres. Il avait également proposé ses services à plusieurs entreprises travaillant pour la Défense nationale, comme les Avions Marcel-Dasssault-Breguet Aviation, l’Aérospatiale et la SODETEG, filiale de Thomson.

    Ainsi, la société Transylvanie, spécialisée dans la création et le conseil publicitaires, avait-elle passé un contrat avec le ministère de la Défense pour concevoir la maquette de l’encyclopédie de l’Armée de Terre.

    Un des exemples les plus significatifs de tentatives d’emprise de la Scientologie sur les entreprises fut la prise de contrôle de la SOGETRAM (Société générale de travaux maritimes) suivie de sa cession en 1998 après que sa direction eut provoqué un conflit social en voulant introduire dans sa gestion des méthodes tirées des enseignements de la Scientologie.

    Plus préoccupantes encore sont les tentatives scientologues pour effectuer une percée à l’intérieur d’EDF. En raison de son chiffre d’affaires conséquent (200 milliards de francs), de sa concentration de matière grise, de l’extrême sensibilité de son domaine d’activité et de l’importance de son budget consacré aux prestations de consultants et de bureaux d’étude, l’entreprise nationale paraît susciter le plus grand intérêt de la secte. Les tentatives d’infiltration se sont opérées directement par la présence de plusieurs cadres supérieurs scientologues – dont un ingénieur qui était affecté à un poste stratégique dans le secteur nucléaire – et indirectement par la collaboration avec des sociétés de conseil relevant de la mouvance scientologue.

    La Commission, ayant connaissance de ces faits, a été d’abord troublée de la lenteur avec laquelle a réagi la direction générale d’EDF qui a paru, dans un premier temps, sous-estimer le problème. On est même en droit de se demander si, sans l’intervention de responsables syndicaux qui ont servi à la fois de révélateur et d’aiguillon, les tentatives de pénétration scientologues ne seraient pas restées secrètes. Mais l’attitude de l’entreprise a changé récemment. Elle s’efforce, désormais, de traiter le problème dans sa réalité et a engagé, à cet effet, une refonte de toute sa politique de sécurité.

    Agissant en éclaireur, la Scientologie n’a pas gardé le monopole des tentatives d’infiltration d’entreprises par des sectes.

    Il faut également citer les exemples :

    En d’autres termes, cette disposition prohibe toute source de profit fondée exclusivement sur la multiplication des adhérents.

    Le Tribunal des affaires sociales a confirmé, le 4 décembre 1995, la dette chiffrée par l’URSSAF et, le 18 mars 1996, validé toutes ses mises en recouvrement.

    Le 30 novembre 1995, le Tribunal de commerce avait prononcé la liquidation judiciaire de l’association Eglise de Scientologie de Paris, au titre de laquelle la créance de l’URSSAF a été admise au passif pour 13,3 millions de francs.

    Cette créance a été intégralement soldée par l’administrateur judiciaire. Mais la Commission n’a pu connaître la nature et l’origine des fonds ayant permis ce règlement.

    Il est frappant de constater, à travers cet exemple, que la Scientologie continue depuis lors d’exercer ses activités, à Paris comme partout en France, et, selon les renseignements dont a pu disposer la Commission, ne figure plus en tant qu’association dans la liste des cotisants à l’URSSAF de Paris. La secte a déclaré avoir concentré ses activités commerciales au sein d’une SARL, dûment immatriculée. On peut pourtant considérer que l’accumulation par la Scientologie d’une dette à l’égard de l’URSSAF de plus de 13 millions de francs, traduisait l’existence d’activités à caractère économique dont on peut se demander si elles continuent à être exercées par les structures associatives de l’organisation. Une intervention de l’inspection du travail pourrait éclairer ce Dossier.

    3.– Le redressement opéré sur les Témoins de Jéhovah

    Au cours des mois de mai et juin 1996, l’URSSAF de l’Eure a diligenté un contrôle sur l’association " Communauté chrétienne des Béthélites ", en la considérant comme un employeur potentiel puisque des activités économiques à Louviers, notamment d’imprimerie, étaient notoires et que l’association ne versait aucune cotisation.

     

    Le contrôle a établi que les membres de la communauté exerçaient une véritable activité professionnelle, recevant une rémunération, composée d’une allocation mensuelle de 475 francs et d’avantages en nature tels qu’hébergement et nourriture, qui devaient servir d’assiette de cotisation. L’URSSAF a, sur ces bases, notifié un redressement de 10,3 millions de francs, que l’association a réglé.

    Depuis lors, l’Association cultuelle des Témoins de Jéhovah et la Communauté chrétienne des Béthélites cotisent régulièrement à l’URSSAF de l’Eure, la première déclarant une masse salariale de 4,8 millions de francs pour 306 salariés et la seconde de 6,6 millions de francs pour 284 salariés (au 31 décembre 1998).

    Antérieurement à 1996, les membres permanents des associations des Témoins de Jéhovah n’étaient pas couverts par l’assurance-maladie et bénéficiaient d’un système de protection interne par auto-assurance. Ils ont, depuis, la possibilité d’être assujettis au régime général de la sécurité sociale.

    Cette solution n’est cependant qu’apparemment équilibrée. En effet, l’URSSAF ne peut, sans investigation de l’inspection du travail, connaître le volume réel du travail effectué qui, s’il était établi comme un travail salarié à temps plein, pourrait se voir appliquer le mécanisme de l’assiette forfaitaire minimale, à savoir le nombre d’heures de travail effectuées multiplié par la valeur du SMIC. Dans cette hypothèse, le redressement de l’URSSAF aurait été de 22 millions de francs, soit plus du double de ce qu’il fut.

    La Commission estime donc indispensable, au vu de ces éléments, qu’un contrôle approfondi de l’inspection du travail établisse la réalité quantitative de l’activité salariée dans les deux associations concernées. Elle s’étonne que ce contrôle n’ait toujours pas été réalisé et que l’URSSAF de l’Eure se contente de percevoir un montant de cotisations calculé sur la base d’une assiette forfaitaire dont on peut se demander quel rapport elle a avec l’activité salariée réelle.

     

    II.— Les infractions économiques et financières

    Les infractions économiques et financières relevées à l’encontre de mouvements sectaires présentent comme caractéristiques d’être multiples, fréquentes et souvent impunies. Car si l’arsenal juridique disponible permettant de les réprimer paraît assez bien adapté, il est en revanche difficile à utiliser.

    A.— des infractions pénales multiples et fréquentes

    L’examen des infractions pénales retenues dans des affaires liées au phénomène sectaire fournit un indice incontestable du caractère frauduleux des manœuvres qui se déploient en son sein.

    1.– Un développement inquiétant de la délinquance économique et financière

    L’évolution du nombre des procédures engagées et de la nature des infractions relevées traduit un développement inquiétant des délits économiques et financiers dont sont responsables les mouvements sectaires.

    Au 1er février 1999, la Chancellerie recensait 182 procédures pénales engagées à l’encontre de personnes liées à une organisation sectaire, hors procédures pour diffamation ou dénonciation calomnieuse. Des recensements similaires relevaient, en novembre 1995, 60 plaintes, 27 enquêtes préliminaires, 26 informations judiciaires et 27 procédures clôturées en cours d’année, puis, en novembre 1997, 134 procédures pénales. Entre le 1er mai 1998 et le 1er février 1999, 30 nouvelles procédures pénales ont été répertoriées, dont certaines ont pu être initiées antérieurement à ces dates.

    Les 182 procédures pénales liées au phénomène sectaire actuellement répertoriées se décomposent en 82 enquêtes préliminaires et 100 informations judiciaires. Sur les enquêtes préliminaires, 45 ont été classées sans suite, 28 sont en cours, 4 font l’objet d’un jugement de relaxe et 5 d’une décision de condamnation. Quant aux informations judiciaires, 66 sont en cours, 9 ont fait l’objet d’un non-lieu (dont un n’est pas définitif) et une d’une ordonnance d’incompétence, tandis que, par ailleurs, une affaire a été close pour extinction de l’action publique, deux ont bénéficié d’une relaxe et 21 ont entraîné une condamnation dont quatre ne sont pas définitives.

     

    Ces procédures concernent en majorité des infractions de nature économique et financière, traduisant ainsi le rôle grandissant que joue l’argent dans la délinquance sectaire. La Chancellerie recense en effet 104 affaires mettant en cause un délit rentrant dans l’objet de la Commission. La répartition des chefs d’infraction prononcés ou envisagés reflète les pratiques utilisées. L’escroquerie et l’abus de confiance constituent, de loin, les infractions les plus fréquemment relevées. Vient ensuite l’exercice illégal de la médecine, révélateur de la place grandissante que les sectes occupent sur le marché de la santé. On note également un nombre important d’abus de faiblesse, d’infractions au code du travail, d’extorsions de fonds, de publicités mensongères, de corruptions et de prises illégales d’intérêts. Ces incriminations sont caractéristiques de l’influence économique désormais jouée par les réseaux sectaires.

    2.– Les condamnations prononcées

    Un nombre important de procédures ont d’ores et déjà fait l’objet de condamnations pénales pour des infractions économiques ou financières. Les Dossiers concernés sont trop nombreux pour être examinés de façon exhaustive. La Commission a en revanche recensé les décisions de justice relatives aux mouvements sectaires les plus représentatifs. Ces décisions sont présentées dans le tableau ci-dessous. Il s’agit de jugements et d’arrêts définitifs ou provisoires, certains d’entre eux pouvant être frappés d’appel ou de cassation pour le moment non encore jugés. Seules les infractions pénales présentant un caractère économique ou financier ont été retenues.

    Condamnations pénales () relatives aux principaux mouvements sectaires

    Nom de la secte

    Nom de l’organisme concerné

    Chefs d’infraction ()

    Jugements, arrêts et peines prononcées ()

    Krishna

    Fédération française pour la conscience de Krishna

    • Fraude fiscale

    • TGI de Châteauroux, 25/01/89
    • CA de Bourges, 24/10/89 : amende de 20.000 F. + 6 mois avec sursis ; amende de 15.000 F. + 3 mois avec sursis.
    • Krishna

      Association franço-suisse pour la conscience de Krishna

      • Règles d’urbanisme

      • TC de Dôle, 13/05/97 : amende de 50.000 F. + démolition édifice sous astreinte de 500 F. / jour.
      • CA de Besançon, 28/04/98 : confirmation
      • La Maison de Jean

        La Maison de Jean

        • Abus de confiance
        • Faux
        • Escroquerie

      • TGI de Paris, 12/12/96 : relaxe.
      • CA de Paris, 7/01/98 : 12 mois avec sursis + amende de 150.000 F.
      • Le Mandarom

        Association du Vajra Triomphant

        • Infractions au code de l’urbanisme

      • TGI de Digne-les-Bains, 30/07/98 : amende de 30.000 F. – ordonne la remise en état des lieux dans un délai de 3 mois à compter de la signification sous astreinte de 500 F. / jour de retard.
      • Loisirs et santé – Le corps miroir

        World institute of technologies for healing (WITH)

        • Publicité mensongère
        • Escroquerie
        • Non-assistance à personne en danger

      • TGI de Grenoble, 29/03/96 : non-lieu.
      • CA de Grenoble, 7/11/96 : confirmation non-lieu pour escroquerie + non-assistance à personne en danger - renvoi TGI Grenoble pour publicité mensongère.
      • TC de Grenoble, 05/96 : 30.000 F. d’amende pour publicité mensongère.
      • CA de Grenoble, 29/07/98 : requalification complicité, publicité mensongère + amende de 30.000 F.
      • Méthernita

        Méthernita

        • Subornation de témoins
        • Participation à une association de malfaiteurs

        • TGI de Grenoble, 15/12/98 : 2 mois avec sursis + amende de 20.000 F.

        Moon

        Association pour l’unification du Christianisme mondial

        • Fraude fiscale

      • CA d’appel de Paris, 26/01/88.
      • Nouvelle Acropole

        Association Nouvelle Acropole France

        • Vol
        • Recel de vol
        • Complicité de vol
        • Menaces de délit faites sous condition

      • TGI de Colmar, 27/03/98 : 1 an avec sursis et non inscription B2, 18 mois avec sursis.
        • CA de Colmar, 18/12/98 : confirmation de jugement.

        ORKOS

        Fédération internationale pour le développement de l’alimentation instinctive

        • Exercice illégal de la médecine
        • Escroqueries
        • Publicité irrégulière pour des méthodes thérapeutiques (non-lieu partiel)

      • TGI de Melun, 25/03/96 : interdiction d’exercer toute activité liée à l’instinctothérapie pendant 3 ans.
      • CA de Paris, 21/01/97 : 3 mois avec sursis + amende de 50.000 F.
      • Cassation, 30/04/98 : rejet.
      • Scientologie

        Eglise de Scientologie de Lyon

        • Escroquerie
        • Complicité d’escroqueries
        • Extorsion

      • TGI de Lyon, 22/11/96 : emprisonnements allant de 8 mois avec sursis à 3 ans dont 18 mois avec sursis + amendes allant de 10.000 F. à 500.000 F. + interdictions de droits civiques + interdictions de gérer + exclusion des marchés publics.
      • CA de Lyon, 28/07/97 : emprisonnements allant de 8 mois avec sursis à 3 ans avec sursis + amendes allant de 10.000 F. à 500.000 F. + interdictions de droits civiques.
      • Scientologie

        Eglise de Scientologie d’Aix-en-Provence

        • Tentative de corruption
        • Vol

      • TGI de Toulon, 11/10/96 : 6 mois avec sursis (pour 2 personnes différentes).
      • CA d’Aix-en-Provence, 12/01/98 : 4 mois avec sursis.
      • Scientologie

        Eglise de Scientologie de Besançon

        • Escroquerie

      • TC de Besançon, 07/05/97 : 6 mois avec sursis + amende de 15.000 F.
      • Arrêt CA de Besançon, 30/10/97 : 2 ans avec sursis + amende de 150.000 F. + interdiction de droits civiques.
      • Scientologie

        École de l’éveil

        • Publicité mensongère
        • Publicité en faveur d’établissement privé sans dépôt préalable

         

        • TGI de Paris, 12/11/97 : amendes de 10.000 F. et de 30.000 F.

        Scientologie

        SARL Action Academy

        • Traitement automatisé de données sans déclaration préalable (art. 226-16 et 226-31 du CP) et recueil irrégulier de données sensibles (art. 226-19 CP)

      • TGI de Paris, 04/09/98 : non lieu partiel + amende de 15.000 F.
      • Scientologie

        Centre Hubbard Dianétique Lille

        • Infraction à la loi relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés (Loi du 06/01/78)

      • TGI de Lille, 18/12/96 : amende de 100.000 F. (art. 16 de la loi de 1978) + relaxe (art. 31 al. 1 Loi 1978).
      • Scientologie

        École du rythme

        • Fraude fiscale

      • TGI de Paris, 05/10/98.
      •  

        On constate que parmi les sectes sur lesquelles la Commission a centré son enquête, neuf ont déjà été condamnées. La Scientologie cumule à elle seule sept procédures ayant débouché sur une condamnation. Une telle concentration traduit à la fois l’importance de son réseau, le poids de son influence et le caractère frauduleux de ses pratiques.

        Les peines prononcées comportent plusieurs emprisonnements avec sursis (2 ans pour le docteur Hélou condamné pour escroquerie dans la perception de commissions sur les chèques encaissés par l’Eglise de Scientologie de Besançon, et 3 ans pour M. J.J. Mazier pour le même chef d’infraction dans l’affaire de l’Eglise de Lyon). Elles comprennent également des amendes variant de 10.000 à 500.000 francs.

        Les infractions à l’origine de ces condamnations reproduisent la répartition présentée plus haut. A côté des cas de fraude fiscale et d’exercice illégal de la médecine, l’escroquerie est le chef le plus souvent retenu.

        L’arrêt du 28 juillet 1997 de la Cour d’appel de Lyon sur l’Eglise de Scientologie a notamment démontré la vaste entreprise d’escroquerie mise en place par la secte. On a déjà vu comment ce procès a permis de mettre en lumière les circuits de financement de la Scientologie. D’un strict point de vue pénal, plusieurs attendus de la Cour sont édifiants. La Cour a démontré les méthodes en vigueur dans le centre de dianétique dirigé par M. J.J. Mazier et notamment, à travers l’attendu suivant, les techniques de recrutement de la secte :

        " (…) le fait de publier de façon réitérée des annonces, ne mentionnant en aucun cas qu’elles émanaient de l’Eglise de Scientologie, rédigées en termes équivoques et parfois indiscutablement mensongers, pour faire croire ou laisser croire au lecteur qu’il s’agissait d’offres d’emplois, subordonnées à l’achat de livres, à l’assistance à des cours et à la participation à des stages payables immédiatement, alors qu’en réalité leur but véritable était la recherche d’une adhésion à la Scientologie, s’analyse en manœuvres frauduleuses pour faire naître l’espérance d’un événement chimérique, en l’espèce l’accès à un emploi, lesdites manœuvres frauduleuses ayant déterminé la remise des fonds ; que le délit d’escroquerie est d’ores et déjà caractérisé, dès lors que l’agent a agi sciemment ; " ()

        Les qualifications pénales que la Cour a retenues sont de nature à convaincre ceux qui pourraient encore douter des intentions de la Scientologie. Un attendu résume particulièrement bien les conclusions de la juridiction :

        " (…) en définitive ont ainsi été mises en évidence des manœuvres frauduleuses caractérisées par une publicité massive, ne faisant initialement aucune référence à l’Eglise de Scientologie, proposant des tests de personnalité gratuits analysés immédiatement et gratuitement sur ordinateur par des personnes dépourvues de toute compétence en la matière et révélant quasi systématiquement de graves difficultés d’ordre personnel, lesquelles manœuvres frauduleuses avaient pour objet de persuader l’existence de fausses entreprises, en l’espèce le Centre de dianétique de Lyon ou l’Eglise de Scientologie de Lyon, présentés comme des institutions en mesure de résoudre par l’application de la doctrine de Ron Hubbard les prétendues difficultés révélées par les tests et de favoriser l’épanouissement et la réussite personnels de l’adepte, alors qu’en réalité ces associations dispensant, moyennant des paiements croissants, des cours, des séances d’audition, des cures de purification, pouvant aboutir, au moins dans certains cas, à une véritable manipulation mentale, constituaient des entreprises ayant pour seul objet ou pour objet essentiel, la captation de la fortune des adeptes grâce à l’emploi des manœuvres frauduleuses ci-dessus décrites : que le délit d’escroquerie est ainsi caractérisé ; "

        On a beaucoup commenté, et parfois mal interprété, l’attendu que la Cour d’appel de Lyon s’est cru autorisée à insérer dans son arrêt et selon lequel :

        " (…) dans la mesure où une religion peut se définir par la coïncidence de deux éléments, un élément objectif, l’existence d’une communauté même réduite et un élément subjectif, une foi commune, l’Eglise de Scientologie peut revendiquer le titre de religion et développer en toute liberté, dans le cadre des lois existantes, ses activités y compris ses activités missionnaires, voire de prosélytisme ; "

        La Commission voit dans cet attendu une initiative qui manifestement outrepassait les pouvoirs de la Cour. La question qui était posée aux juges lyonnais n’était en aucune manière d’apprécier si la Scientologie forme une religion, mais simplement de statuer sur le caractère frauduleux des pratiques qu’elle exerce. A quel titre une juridiction pourrait-elle décider de ce qui relève de la religion et ce qui n’en relève pas ? La Commission considère que cette prise de position pour le moins malheureuse peut s’expliquer par les pressions que la secte a exercées pour que son procès n’ait pas lieu et que la justice ne soit pas rendue. Quoi qu’il en soit, il est inacceptable que cet attendu ait été habilement mis en exergue par la Scientologie alors qu’il n’a, aux yeux de la Commission, aucun effet juridique. Il a ainsi été utilisé pour passer sous silence la qualification d’escroquerie établie par l’arrêt de la Cour, et la gravité des condamnations qui ont été prononcées en conséquence.

        3.– Les procédures en cours

        Compte tenu du degré de complexité des affaires liées aux sectes et du caractère relativement récent de certaines plaintes, l’essentiel des procédures pénales n’a pas encore été jugé. Sauf à ne donner qu’une vision parcellaire de la fraude sectaire, la Commission pouvait difficilement se limiter aux seules condamnations prononcées. Elle a donc décidé de rendre publics, pour les Dossiers les plus représentatifs, les chefs d’infraction à caractère économique et financier retenus dans des procédures judiciaires en cours. Afin de respecter le secret de l’instruction, comme elle y est tenue par l’article 6 de l’ordonnance n°58.1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, elle a cependant pris soin de ne mentionner ni l’identité des sectes concernées, ni le service chargé de la procédure, ni les faits sur lesquels portent les enquêtes.

        Plusieurs dizaines de mouvements sectaires sont actuellement sous le coup de poursuites judiciaires. La Commission présente, dans le tableau ci-dessous, les poursuites concernant dix-neuf organisations parmi les plus importantes. Ce tableau indique, par ordre décroissant, le nombre de procédures en cours à l’encontre de chacune de ces dix-neuf organisations, ainsi que les chefs d’infraction envisagés.

        Afin d’éviter toute ambiguïté, la Commission tient à rappeler que ce tableau ne préjuge en aucune manière de la qualification pénale des affaires en cause. Il ne s’agit que de donner des indications sur les nombreux chefs d’infraction actuellement envisagés contre des pratiques sectaires. Les procédures en cours pourraient en effet n’avoir aucune suite judiciaire, ni déboucher sur aucune condamnation.

         

        procédures pénales en cours()
        portant sur 19 mouvements sectaires

        (enquêtes préliminaires ou informations judiciaires)

        nombre de procédures en cours par secte

        Chefs d’infraction () envisagés

        10

        • Diffusion de tracts sur la voie publique
        • Exercice illégal de la médecine
        • Escroquerie
        • Publicité mensongère
        • Extorsion de fonds
        • Recel aggravé
        • Vol
        • Importation de médicaments sans autorisation sur le marché
        • Importation de produits interdits à la consommation
        • Abus de biens sociaux
        • Travail dissimulé
        • Abus de confiance
        • Fonctionnement d’une association

        4

        • Dons argent
        • Trafic d’influence
        • Corruption
        • Infraction à la loi du 19/01/95 sur le financement des partis politiques
        • Abus de faiblesse
        • Abus de confiance
        • Vol

        3

        • Infractions à l’article 1 de la loi du 5/11/53
        • Emploi de travailleurs clandestins
        • Abus de biens sociaux
        • Faux et usage
        • Complicité et recel

        3

        • Infraction aux règles de l’urbanisme - Complicité
        • Ingérence
        • Délit d’octroi d’avantages injustifiés
        • Corruption
        • Recel
        • Escroquerie
        • Abus de confiance
        • Abus de faiblesse

        2

        • Exercice illégal de la médecine
        • Abus de faiblesse

        2

        • Exercice illégal de la médecine
        • Escroquerie
        • Complicité

        1

        • Exercice illégal de la médecine

        1

        • Exercice illégal de la pharmacie
        • Publicité mensongère pour les produits

        1

        • Blanchiment
        • Travail illégal, gérance de fait et perception frauduleuse d’indemnités

        1

        • Trafic de médicaments

        1

        • Organisation et fonctionnement d’une SARL

        1

        • Exercice illégal de la pharmacie

        1

        • Publicité mensongère

        1

        • Exercice illégal de la médecine
        • Abus de confiance au préjudice d’OKC
        • Article 225-13 CP (obtention, en abusant de la dépendance de personnes, de services non rétribués ou en échange d’une rétribution sans rapport avec l’importance du travail accompli)

        1

        • Recel commis de façon habituelle ou en bande organisée
        • Associations de malfaiteurs

        1

        • Blanchiment
        • Organisation et fonctionnement d’une SARL

        1

        • Escroquerie

        1

        • Infractions au code du travail

        1

        • Fonctionnement d’une association

         

        La Commission a ainsi recensé, s’agissant d’infractions économiques et financières, 37 procédures judiciaires en cours portant sur des dirigeants de secte ou des personnes directement liées aux 19 organisations sectaires les plus importantes. Ces procédures sont actuellement menées sous la responsabilité d’un service régional de la police judiciaire, de la Direction régionale de la police judiciaire de Paris, de la Section centrale pour la répression des atteintes aux personnes et des trafics de la Direction centrale de la police judiciaire, ou de différentes légions de la Gendarmerie nationale.

        On observe, au sein des 19 sectes figurant dans le tableau ci-dessus, une relative concentration des procédures. Si la plupart des mouvements sectaires ne font l’objet que d’une seule enquête ou information, certains sont mis en cause dans plusieurs affaires. Une secte cumule même, à elle seule, dix procédures.

        Les chefs d’infraction envisagés reflètent l’inquiétant développement de la fraude sectaire. Outre les infractions traditionnelles comme l’escroquerie (4 procédures ont retenu ce chef d’infraction) ou l’exercice illégal de la médecine ou de la pharmacie (7), on trouve des présomptions plus spécifiques qui correspondent aux nouveaux centres d’intérêt des sectes. La Commission relève notamment des procédures qui mettent en cause des trafics ou des importations illégales de médicaments (2), du travail dissimulé, illégal ou clandestin (3), des abus de confiance ou de biens sociaux (6), un cas de trafic d’influence et même une infraction à la législation sur le financement des partis politiques.

        La Commission note par ailleurs que plusieurs procédures judiciaires ont retenu comme chef d’infraction le blanchiment d’argent. A plusieurs égards, certaines pratiques sectaires pourraient effectivement être utilisées pour blanchir des fonds (revente de biens immobiliers acquis avec de " l’argent sale ", déclaration de cotisations associatives plus élevées que les montants réellement versés … ).

        B.— des infractions souvent impunies

        Le phénomène sectaire ne justifierait pas, par lui-même, une nouvelle commission d’enquête parlementaire si la fraude qu’il génère était, sans difficulté particulière, réprimée selon les règles du droit commun et si, spécialement dans le domaine économique et financier, une certaine impunité ne lui permettait pas de s’étendre.

        Or, il n’en est rien et la Commission a été particulièrement frappée, au cours des nombreuses auditions auxquelles elle a procédé, de s’entendre régulièrement répéter, aussi bien par les victimes des sectes que par les associations qui leur viennent en aide, les administrations publiques et les magistrats, que les dérives du phénomène sectaire étaient si difficiles à pourchasser qu’une faible partie d’entre elles seulement se trouvait un jour devant un tribunal et qu’une plus faible partie encore se trouvait un jour condamnée pénalement.

        La Commission a donc essayé d’identifier les causes de cette relative impunité.

        Les raisons pour lesquelles les dérives sectaires parviennent à poursuivre leur chemin à travers les mailles – pourtant serrées on le verra – de l’appareil répressif tiennent à plusieurs facteurs qui eux-mêmes se croisent fréquemment : la faiblesse du nombre de plaintes des victimes, le taux élevé de désistements et la longueur des procédures d’instruction.

        1.– La faiblesse du nombre de plaintes

        Ni la victime des agissements d’une secte, qu’il s’agisse d’un individu ou d’une entreprise, ni son entourage, qu’il s’agisse de la famille ou des partenaires économiques et sociaux, ne sont enclins à déposer plainte contre les dommages qu’ils ont eu à subir du fait de pratiques sectaires à leur encontre.

        L’individu victime d’une secte n’est pas, en effet, une victime comme les autres, puisqu’elle a été, à un moment donné, consentante à l’activité qui lui a porté préjudice. En outre, ce préjudice est le plus souvent extrêmement difficile à établir. La personne qui parvient à s’extraire, ou à être extraite, d’un mouvement sectaire est, pour l’immense majorité des cas, en état de très grande faiblesse morale et psychologique. Elle ne dispose généralement pas du ressort nécessaire pour engager une action et souhaite, quoi qu’il en soit, effacer au plus vite la mémoire de ce qu’elle a vécu ou, à tout le moins, en éviter toutes les conséquences. Ce n’est faire injure ni à notre police judiciaire ni à nos juges de rappeler que le fonctionnement des institutions qu’ils servent ne se prête guère à ce souci, bien compréhensible, d’oubli qui anime les victimes.

        Même dans l’hypothèse où la victime d’une secte ne l’a été que de façon brève ou incidente – personnes grugées par l’achat de médications miraculeuses ou la participation momentanée à un stage de formation à la vente pyramidale – il est toujours difficile pour celle-ci d’avouer publiquement qu’elle s’est laissée abuser. Le problème se pose d’ailleurs d’une façon plus générale pour toutes les arnaques à la consommation, qu’elles proviennent ou non d’agissements sectaires.

        Quant aux entreprises, l’aveu, soit d’une tentative d’infiltration sectaire, soit d’un marché, par exemple dans le domaine de la formation professionnelle, est difficilement acceptable. Il en va, en effet, de la notoriété et de la crédibilité de l’entreprise, surtout si celle-ci est confrontée, dans son domaine d’activité, à une concurrence aiguë, ou dans sa gestion interne, à une vigilance des syndicats particulièrement aiguisée.

        La Commission doit, à ce titre, féliciter les entreprises qui lui ont apporté leur témoignage pour leur réaction pertinente aux tentatives d’infiltration qu’elles ont subies et pour leur volonté d’exploiter leur expérience malheureuse au profit de l’intérêt général, qu’il s’agisse de très grandes entreprises ou de PME que ne l’on ne peut évidemment citer, mais qui se reconnaîtront à travers ces lignes.

        Toutefois, aucune de ces affaires n’a fait l’objet d’une plainte auprès de la Justice.

        2.– Le taux élevé de désistements

        Pour les affaires faisant l’objet de procédures judiciaires en cours, la Commission ne peut, conformément à l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, qui régit ses travaux, faire état d’aucun exemple en ce domaine.

        Il faut cependant savoir que, lors de plusieurs affaires récentes, mettant en cause des mouvements sectaires particulièrement importants sur le plan économique, les juges ont constaté un taux anormalement élevé de désistements parmi les plaignants dont les motifs sont généralement d’ordre financier – propositions d’indemnisation par la secte – ou consistent en menaces, morales et physiques, sur les victimes.

        Ces informations sont confirmées par le procès de l’Eglise de Scientologie de Lyon. Au cours de cette procédure aujourd’hui close, plus d’une vingtaine de désistements ont été enregistrés au cours de l’instruction. Il s’agit, dans la plupart des cas, de parties civiles qui ont accepté de renoncer à leurs plaintes moyennant une indemnisation par la secte qui, au total, a atteint plusieurs centaines de milliers de francs. Le cours de la justice s’en est trouvé entravé.

         

        3.– La difficulté de l’instruction

        L’instruction judiciaire en matière d’agissements sectaires est confrontée à des écueils spécifiques qui rendent particulièrement malaisé son déroulement.

        Le ministère de la Justice impute principalement ces difficultés au caractère souvent imprécis des plaintes. Ce dernier, déploré par la plupart des juridictions, est généralement le résultat direct de l’état de vulnérabilité et de perte des repères sociaux dans lequel les victimes des sectes ont été placées. Or, l’efficacité de l’action pénale repose sur l’établissement de faits concrets, précis et indiscutables, assortis d’une qualification juridique préétablie et adaptée à la réalité de ces faits. Faute de quoi, la preuve d’une atteinte à la personne ou aux biens, surtout si elle s’accompagne d’un début de consentement, est extrêmement difficile à déterminer et rend, par voie de conséquence, insuffisamment fondé l’exercice de l’action publique.

        Un tel travail exige du temps et une concentration importante de moyens d’enquête, dont les juges d’instruction ne sont qu’assez rarement pourvus.

        La Commission juge qu’il serait intéressant d’établir, à partir de statistiques que la Chancellerie tient, le ratio entre le nombre de plaintes déposées impliquant des agissements sectaires et le nombre d’actions publiques déclenchées. Il serait instructif de comparer les résultats de cette enquête au ratio de droit commun.

        L’encombrement que connaît aujourd’hui la plupart de nos tribunaux constitue un obstacle supplémentaire, d’autant plus qu’une des tendances fortes de la vie judiciaire au cours des dernières années tend à ce que les Dossiers se plaident de plus en plus sur des arguments de procédure au détriment du fond de l’affaire. Cette évolution joue bien évidemment en faveur d’organisations fortement outillées pour faire face au débat judiciaire et en la défaveur des victimes, le plus souvent isolées, fragilisées et sans aucune préparation aux ressorts de la justice.

        On notera que, dans l’affaire de la Scientologie de Lyon, l’ordonnance du juge d’instruction a mis trois ans à parvenir à l’audience, soit à la limite du délai de prescription. Il semble que cette lenteur n’ait été due qu’en partie à l’encombrement du tribunal et qu’on doive y voir également la marque d’un certain scepticisme, les magistrats considérant souvent ce type de Dossiers comme relevant plus des services sociaux que d’une juridiction répressive.

        Toujours concernant la Scientologie, à Paris, une partie du Dossier d’instruction a été perdue ; une enquête de l’inspection judiciaire a été ouverte. À Marseille, enfin, on a pu constater une lenteur surprenante dans la procédure, où semble-t-il, la même mésaventure se serait produite.

        C.— un arsenal juridique adapté mais difficile à utiliser

        Le rapport de la précédente commission d’enquête faisait observer, à juste titre, qu’un arsenal juridique important, dont il dressait l’état, permettait de sanctionner les dérives sectaires et en concluait qu’une réforme radicale ne paraissait pas souhaitable. La Commission reste fidèle à cette analyse. En outre, depuis 1996, le Parlement a su compléter et perfectionner la législation. L’obstacle principal à une lutte plus efficace contre les dérives sectaires réside donc plutôt dans les difficultés d’utilisation des textes.

        1.– Un arsenal accru et perfectionné

        On ne rappellera pas ici l’ensemble des moyens juridiques à la disposition des victimes et des pouvoirs publics, qui a été clairement exposé dans le rapport du 22 décembre 1995.

        Depuis lors, un certain perfectionnement des dispositifs juridiques est intervenu à plusieurs égards : l’application des dispositions du nouveau code pénal a fait l’objet d’un début de jurisprudence et des infractions nouvelles ont été créées en matière économique et financière. Sans avoir été spécialement conçu à l’encontre des dérives sectaires, l’ensemble de ces dispositifs offre toutefois à l’administration des outils utiles à la lutte contre la fraude sectaire.

        a) L’application des dispositions du nouveau code pénal a fait l’objet d’un début de jurisprudence

        Le nouveau code pénal, promulgué le 1er mars 1994, a introduit deux dispositions particulièrement adaptées à la répression des activités sectaires délictueuses : d’une part l’incrimination d’abus de faiblesse (art. 313-4), d’autre part la possibilité d’engager la responsabilité des personnes morales (art. 121-2).

        ð L’abus de faiblesse permet de réprimer des agissements proches de l’escroquerie, commis au préjudice de victimes incapables de se défendre en raison, le plus souvent, de leur âge ou de leur état physique ou psychique.

        Ce délit est plus large que celui de l’escroquerie dans la mesure où il permet de prendre en considération l’abstention et le comportement passif de la victime. Ainsi les possibilités offertes au ministère public dans le cadre d’agissements sectaires sont plus étendues et mieux adaptées à la réalité des faits.

        À ce jour, une quinzaine de procédures d’abus de faiblesse ont été répertoriées sur le territoire national, certaines d’entre elles pouvant parallèlement donner lieu à une incrimination d’escroquerie. L’abus de faiblesse se situe ainsi au quatrième rang, après l’escroquerie et l’abus de confiance, puis l’exercice illégal de la médecine, des chefs d’infraction les plus souvent retenus dans les procédures mettant en cause des sectes pour des activités économiques et financières.

        ð  La possibilité d’engager la responsabilité des personnes morales présente en matière sectaire une utilité particulière car les responsables des sectes usent très couramment de prête-noms et de changements fréquents de dirigeants, souvent afin de camoufler un gourou qui a déjà fait l’objet de condamnations pénales. Plutôt que de condamner des individus, ce qui n’empêche pas le mouvement de poursuivre ses activités illicites sous d’autres formes et avec d’autres responsables, on peut donc, grâce aux nouvelles dispositions, désigner la secte elle-même.

        Pour les atteintes aux personnes, cette responsabilité peut être engagée sur un éventail assez large d’infractions : pour des faits d’homicides et de violences involontaires (art. 221-7 et 222-21), de trafic de stupéfiants et de blanchiment (art. 222-42), de risque de mort causé à autrui (art. 223-2), de proxénétisme (art. 225-12), des conditions de travail ou d’hébergement contraires à la dignité de la personne (art. 226-7 et 226-9), de dénonciation calomnieuse (art. 226-12), des atteintes aux droits de la personne résultant des fichiers ou des traitements informatiques (art. 226-24), des atteintes à la filiation (art. 227-14). On peut toutefois regretter que ne figurent pas les infractions d’atteintes à l’autorité parentale (art. 227-5 et suivants) ce qui aurait facilité la poursuite des associations sectaires hébergeant des enfants.

        Pour les atteintes aux biens, la responsabilité des personnes morales est admise plus largement encore puisque sont visées la quasi-totalité des infractions prévues par le livre III du nouveau code pénal : le vol (art. 311-16), l’extorsion et le chantage (art. 312-15), l’escroquerie et l’abus de faiblesse (art. 313-4), l’abus de confiance (art. 314-1), le détournement de gages ou d’objets saisis (art. 314-12), les atteintes aux systèmes informatiques (art. 323-6).

        Ces dispositions ont déjà démontré leur efficacité, les juges ayant été à plusieurs reprises, depuis leur entrée en vigueur, confrontés à des personnes morales qui s’organisent spécialement pour contourner la loi.

        La possibilité consécutivement ouverte au juge de dissoudre la personne morale et d’interdire sa reconstitution en la forme ou de faire saisir ses biens constitue un progrès indéniable dans la poursuite judiciaire des sectes, particulièrement sur le terrain de leurs activités économiques.

        Un début de jurisprudence est en train de se mettre en place et la Chancellerie a pu établir dans une circulaire quelques repères méthodologiques sur les cent premières condamnations définitives prononcées contre des personnes morales, mais dont aucune encore n’était une secte. En revanche, une procédure vient très récemment d’être ouverte mettant en cause la responsabilité de l’Eglise de Scientologie de Paris en tant qu’association. L’aboutissement de l’affaire devrait être de nature à susciter, auprès des parquets, un élargissement sensible des moyens de procédure.

        b) Les infractions nouvelles

        Depuis 1995, le législateur a créé deux infractions nouvelles qui, sans viser spécifiquement les agissements sectaires, sont de nature à faciliter la répression de leurs dérives, particulièrement en matière économique et financière : l’infraction de travail dissimulé et l’infraction de blanchiment.

        ·  L’infraction de travail dissimulé

        Elle a été créée, on l’a vu, par la loi du 11 mars 1997 et, remplaçant la notion de travail clandestin, elle permet une meilleure prise en compte par le juge des pratiques illicites.

        En outre, le législateur a considérablement alourdi les peines sanctionnant le travail dissimulé, qui est passé du domaine contraventionnel au domaine délictuel : pour les personnes physiques, les peines peuvent aller jusqu’à 200.000 francs d’amende et deux ans de prison ; pour les personnes morales, elles peuvent être portées à 1 million de francs et être assorties de peines complémentaires telles que la dissolution de l’association ou de la société, le placement sous surveillance judiciaire, la fermeture temporaire ou définitive des établissements, la confiscation des biens qui ont servi à l’infraction (art. L. 362-6 du code du travail).

        La panoplie ainsi considérablement renforcée doit permettre dorénavant au juge de sanctionner efficacement le travail illégal. La tendance des mouvements sectaires, que nous avons analysée, à abuser du bénévolat, rencontre donc, sur la base des nouvelles dispositions, un obstacle sérieux à son exercice.

        · L’infraction de blanchiment

        Elle a été créée par la loi du 13 mai 1996. Ce texte a généralisé une infraction qui, définie par la loi du 12 juillet 1990, était auparavant limitée au blanchiment des capitaux provenant du trafic de stupéfiants.

        Cette extension permet de couvrir toutes les hypothèses de blanchiment, dont celles pouvant être en relation avec les agissements internationaux de certaines sectes. Comme on le verra plus loin, avec le travail effectué par TRACFIN, ce nouveau dispositif constitue un progrès notable dans l’appréhension des activités économiques et financières sectaires.

        2.– Un arsenal toutefois difficile à utiliser

        Les difficultés qu’éprouvent les juges à appliquer aux sectes l’arsenal juridique pourtant étoffé et adapté à la nature des infractions sectaires tiennent, d’une part, à l’absence d’incrimination de base – la notion de secte n’est pas définie légalement – d’autre part, à une série d’obstacles psychologiques et matériels.

        a) La question d’une incrimination spécifique

        Le rapport de 1995 avait conclu à l’inopportunité d’un régime juridique spécifique aux sectes.

        La Commission ne méconnaît pas les arguments de ceux qui estiment que ce vide juridique rend plus difficile le travail des juges, gendarmes et policiers, et que tout fait de société devrait pouvoir trouver sa définition dès lors que l’on commence à en avoir une connaissance concrète suffisante.

        Il est vrai que tout magistrat fonde son raisonnement sur un syllogisme juridique, dont la première proposition est un texte fournissant, en droit pénal, la définition d’une infraction, la deuxième la détermination d’un comportement factuel et la troisième la qualification des faits par rapport à l’infraction. En l’absence d’incrimination spécifique, la démarche juridique devient plus complexe : le juge ne peut l’appréhender qu’indirectement, par les infractions connexes.

        Faut-il, à tout le moins, créer une infraction nouvelle telle que le délit de manipulation mentale ? Celui-ci présenterait le double avantage de franchir une étape intermédiaire vers la définition légale de la secte et de faciliter dans bien des cas le travail des magistrats.

        Les avis recueillis par la Commission à ce sujet sont divergents et deux thèses s’affrontent :

        • la première, favorable à la création d’un tel délit, estime que l’on peut progresser sur la piste de l’incrimination de manœuvres frauduleuses destinées à obtenir le consentement de personnes afin d’en tirer des avantages financiers ou matériels ;
        • la deuxième, faisant valoir l’extrême difficulté à obtenir des preuves de la manipulation, redoute qu’une telle incrimination soit ou bien inapplicable ou bien de nature à rendre plus difficile, plus long et plus fragile le travail des magistrats.

      La Commission n’a pas souhaité, compte tenu de la spécialisation de son objet et des conclusions, qu’elle fait siennes, de la précédente commission d’enquête parlementaire, rouvrir une discussion sur l’opportunité de proposer la création d’un délit de manipulation mentale. Elle considère toutefois qu’une réflexion se nourrissant du travail du Parlement et de la Mission interministérielle de lutte contre les sectes devrait être poursuivie.

      Mais les difficultés d’application du droit positif en matière d’agissements sectaires proviennent aussi et surtout, au-delà des débats théoriques, d’une série d’obstacles psychologiques et matériels auxquels sont confrontés les juges.

      b) Les obstacles psychologiques et matériels

      On doit, en premier lieu, mentionner les limites internationales aux investigations judiciaires. Ces aspects internationaux de la fraude sectaire seront examinés dans une partie spécifique du rapport. Les sectes les plus importantes sur le plan des activités économiques et financières ont en effet tissé des réseaux internationaux qui rendent indispensable l’exercice d’un droit de suite à l’étranger. Or, la sensibilisation au problème sectaire est très différente selon les pays. Aussi bien, ceux qui adoptent un profil très libéral sont aussi, de ce fait, ceux où les sectes choisissent d’abriter leurs centres nerveux et ceux où les services de police judiciaire sont les moins coopératifs.

      Il faut, en second lieu, évoquer la limitation des moyens dont disposent, sur le territoire national, les juges d’instruction. D’une part, ceux-ci travaillent encore souvent, on le sait, avec des instruments artisanaux, d’autre part, ils éprouvent de grandes difficultés à obtenir la collaboration simultanée de plusieurs administrations à la fois, lorsque la complexité de l’affaire l’exige. Quelle que soit la bonne volonté des agents publics, les services ont leurs propres objectifs et leurs propres programmes et calendriers de travail. L’interférence d’une procédure judiciaire portant sur des faits parfois mystérieux et échappant à la rationalité à laquelle est accoutumée la fonction publique, ne trouve donc pas nécessairement tout l’appui et toute la rapidité dont elle aurait besoin. Dans des affaires longues et complexes, souvent sans aboutissement spectaculaire, la lassitude et le manque de moyens humains et matériels forment des obstacles non négligeables à l’application du droit. À cet égard, la Commission s’étonne que le juge actuellement chargé de l’instruction de l’affaire de l’Ordre du temple solaire, pourtant particulièrement complexe, ne dispose que d’un seul officier de police judiciaire.

      En outre, la séparation territoriale des instructions, même pour des faits similaires émanant d’une même organisation sectaire, complique sérieusement le travail des magistrats instructeurs. Les deux enquêtes menées séparément à Paris et à Lyon sur la Scientologie auraient certainement gagné à être réunies. Une telle jonction aurait évité de procéder, dans deux endroits différents, à deux instructions qui comportaient une partie commune. En outre, elle aurait peut-être permis de lever le voile sur les liens entre les deux implantations de la secte.

      On ne peut, en troisième lieu, passer sous silence les menaces et les intimidations auxquelles plusieurs magistrats ont été confrontés. Certes, de tels agissements ne sont guère de nature à fléchir la détermination d’un juge d’instruction mais procurent à sa mission un environnement désagréable, qui vient s’ajouter aux autres difficultés et peut avoir une certaine influence, même si elle est bien sûr impossible à déterminer. La Commission a ainsi eu à connaître d’une instruction où le zèle du magistrat s’est trouvé singulièrement réduit sans qu’aucune explication objective n’ait pu être fournie.

       

      Un juge d’instruction a déclaré devant la Commission avoir, comme la plupart des enquêteurs concernés, subi des pressions. Dans ce Dossier, la secte a utilisé les médias de manière redoutable pour tenter de transformer le procès en sa faveur. Il y a eu des manifestations devant le palais de justice, des tracts ont été distribués jusque dans les cases des magistrats. Des personnalités du spectacle, étrangères notamment, sont venues sur la place pour dénoncer de prétendues atteintes aux libertés. Ce même juge a précisé être certain d’avoir fait l’objet de surveillances personnelles.

      Des cas d’appartenance de magistrats à certaines sectes, comme par exemple à l’Office culturel de Cluny, ont été signalés à la Commission. Dans l’affaire de Lyon, le président du tribunal a rencontré, d’après les informations recueillies par la Commission, d’importantes difficultés à constituer l’instance de jugement. Logiquement, le procès aurait dû être confié à la formation spécialisée en matière financière, mais plusieurs désistements l’auraient empêché.

      Il faut également reconnaître que, dans les affaires sectaires, les magistrats ne peuvent pas non plus s’appuyer sur la pugnacité des plaignants, pour des raisons que l’on a déjà évoquées.

      C’est pourquoi la Commission, qui n’ignore pas l’appui que les associations de défense peuvent apporter aux victimes, se félicite notamment de l’adoption en première lecture par l’Assemblée nationale, dans le projet de loi renforçant la protection et la présomption d’innocence et les droits des victimes, d’un amendement permettant aux associations de lutte contre les sectes de se porter partie civile en ce qui concerne un certain nombre d’infractions pénales lorsque l’action publique a été mise en mouvement par le ministère public ou par la partie lésée.

      Enfin, la Commission tient à souligner la difficulté d’établir les preuves de certaines infractions, comme celle de blanchiment. Certains ont donc suggéré un renversement de la charge de la preuve. Une telle mesure soulèverait probablement des difficultés au regard des principes fondamentaux de notre droit, et notamment de la présomption d’innocence, et courrait le risque d’être plus efficace pour lutter contre les petites illégalités que contre les transferts frauduleux les plus importants. Une étude approfondie mériterait toutefois d’être réalisée.

       

      III.— La fraude fiscale

      La reconstitution des infractions fiscales dont les sectes sont responsables relève de la course d’obstacles. Ce type de fraude est pourtant très répandu : parmi les sectes sur lesquelles la Commission s’est particulièrement penchée, rares sont les exemples de mouvements pour lesquels aucun redressement fiscal n’a été relevé. Mais, l’éparpillement des structures, leur difficile identification et la grande diversité de leurs activités ont indéniablement compliqué la tâche de la Commission, et il est clair que la Direction générale des impôts n’a pas facilité le travail du rapporteur autant qu’il l’espérait. L’administration fiscale considère que les sectes ne constituent pas en soi un " sujet " fiscal et que, par conséquent, on ne peut les appréhender que par le biais d’infractions relevant de catégories juridiques beaucoup plus larges, comme le secteur associatif dans son ensemble. La Commission ne conteste pas cette interprétation. Elle juge même qu’elle illustre toute l’ambiguïté du sectarisme qui détourne des statuts juridiques créés à d’autres fins. Elle regrette simplement que la Direction générale des impôts ait utilisé cet argument pour refuser de communiquer d’elle-même les informations dont elle dispose sur les personnes morales ou physiques liées à des organisations sectaires.

      Faute d’une véritable collaboration avec les services fiscaux, le rapporteur a dû établir par lui-même l’identité des principaux organismes sectaires qui ont fait l’objet de redressements. Il s’est appuyé sur les informations qu’il a pu recueillir, d’une part, auprès d’administrations extérieures à la Direction générale des impôts, notamment auprès de la Direction de la comptabilité publique qui a transmis un état des dettes détenues par le réseau du Trésor, et d’autre part, auprès des mouvements sectaires qui ont parfois déclaré d’eux-mêmes avoir été redressés. A partir de ces informations, il a pu interroger l’administration fiscale sur les résultats de telle ou telle vérification et enquête. Par tâtonnements et à l’aide des multiples questionnaires, il a ainsi été possible de reconstituer une partie de la fraude.

      La Commission ne cache pas son insatisfaction devant les résultats de son enquête. La fraude fiscale sectaire atteint un degré d’importance qui dépasse certainement la description qui va suivre. Pour autant, la Commission a préféré se limiter aux données précises et incontestables auxquelles elle a pu accéder. En conséquence, subsistent encore d’importantes zones d’ombre. La secte Moon est, par exemple, toujours redevable auprès des comptables du Trésor d’une dette importante (28,3 millions de francs), sans que la Commission ait pu obtenir des explications sur son origine exacte. D’une manière générale, l’administration fiscale a montré beaucoup de difficultés à préciser le niveau de recouvrement des créances qu’elle détient sur les sectes et ce point, pourtant essentiel, reste la partie sur laquelle la Commission a eu les informations les moins complètes.

      Ces remarques préalables sont destinées à rappeler que les mécanismes de fraude qui vont être décrits se limitent aux faits portés à la connaissance de la Commission, et ne doivent pas être analysés comme un tableau exhaustif des pratiques déployées par les sectes dans ce domaine. Elles n’ôtent cependant rien à la pertinence des constatations que la Commission souhaite rendre publiques : par l’ampleur et la diversité des malversations relevées, la fraude fiscale constitue une des principales dérives des organisations sectaires, mais aussi une des meilleures illustrations de leur impunité, la plupart des dettes fiscales restant impayées.

      En la matière, la Commission s’est trouvée confrontée à un choix méthodologique particulièrement difficile : soucieuse tout à la fois de respecter ce qu’il est de tradition d’appeler le secret fiscal et d’accomplir la tâche qui lui avait été confiée, tâche qui comportait expressément l’examen de la situation fiscale des sectes, elle a finalement décidé de privilégier le deuxième terme de ce dilemme. Toutefois, les informations fiscales qu’elle a décidé de dévoiler ne portent, à de rares exceptions près, que sur des personnes morales. Surtout, elles concernent toujours des infractions au code général des impôts relevées par l’administration. La Commission a en effet pris le soin de ne lever le secret fiscal que sur les redressements prononcés à la suite de contrôles qui ont établi une pratique frauduleuse caractérisée.

      A.— une fraude importante par son montant et la diversité des malversations

      Les résultats des contrôles fiscaux prononcés à l’encontre de personnes physiques ou morales liées à une organisation sectaire sont récapitulés dans le tableau ci-dessous. Ce tableau agrège, par nature d’impôt, les rappels, majorations et intérêts de retard notifiés, tous organismes confondus et quelle que soit la période contrôlée.

       

       

      Récapitulation des redressements fiscaux prononcés

      à l’encontre d’organismes liés aux principaux mouvements sectaires

      (toutes structures confondues ; montants incluant les rappels, les majorations et les intérêts de retard ; la période contrôlée est mentionnée entre parenthèses)

      (en millions de francs)

      Nom de la secte

      Impôts directs

      (y compris pénalité pour distribution occulte de revenus)

      TVA

      Taxe professionnelle

      Droits d’enregistrement

      Autres

      TOTAL

      AMORC

      88,6

      (1989 – 1990)

      29,2

      (1989–1990 puis 1992–1994)

      0,2

      (1989–1990 puis 1992–1994)

       

      118 ()

      Au cœur de la communication (ACC)

      1,3

      (mi 1993 – mi 1996)

      1,3 ()

      Dianova – Le Patriarche

      1,7

      (1994-1996)

      1,7

      Energo Chromo Kinèse ()

      0,8

      (1995 – 1997)

      2,2

      (id)

      0,09

      (id)

      3,1

      Fédération d’Agrément des Réseaux

      310,2

      (périodes différentes selon l’organisme comprises entre 1985 et 1995)

      27,9

      (id)

      0,05

      (id)

      0,4

      (id)

      20,6

      (id)

      359,2

      Human Universal Energy

      0,2

      (1991 – 1993)

      0,02
      (id)

      0,2 ()

      Krishna

      57,7

      (1982 – 1983)

      2,3

      (id)

      60,1

      Le Mandarom

      2,1

      (1994 – 1995)

      1

      (id)

      9,8

      (id)

      12,9

      Mahikari ()

      0,5

      (1995)

      0,5

      (id)

      1

      Mouvement raélien

      1,2

      (1987-1989)

      0,3

      (id)

      1,5

      ORKOS

      1,4

      (1994 – 1996)

      0,1

      (id)

      1,5

      Prima Verba

      2,8

      (période non communiquée)

      0,4

      (id)

      0,04

      (id)

      3,2

      Scientologie

      69,8

      (périodes différentes selon l’organisme, comprises entre 1981 et 1989)

      59,7

      (id)

      0,1

      (id)

      10,9

      (id)

      140,5 ()

      Soka Gakkaï

      17,8

      (1987 – 1991)

      1

      (id)

      2,3

      (id)

      0,02

      (id)

      0,07

      (id)

      19,5

      Témoins de Jéhovah

      7,3

      (1992 – 1996)

      297,4

      (1993 – 1996)

      2,5

      (1993 – 1995)

      307,2

      Tradition Famille Propriété

      12,4

      (1986 – 1992)

      1,6

      (id)

       

      14

      Les principales infractions fiscales relevées concernent la taxation d’activités associatives non déclarées qui constituent l’aspect le plus connu de la fraude fiscale sectaire. On relève par ailleurs des infractions dans les déclarations des résultats des sociétés filiales, ainsi qu’un recours fréquent à la distribution occulte de revenus.

      1.– Les activités associatives non déclarées

      Les redressements fiscaux notifiés aux associations sectaires portent sur trois motifs principaux.

      a) L’absence de déclaration d’activités lucratives

      Le caractère lucratif des activités des associations sectaires est déterminé, on l’a vu, selon les critères généraux appliqués à l’ensemble du secteur associatif. La fréquence des redressements prononcés sur ce motif montre l’importance des possibilités d’évasion fiscale offerte aux sectes par le recours au statut associatif. Plusieurs exemples ont été évoqués dans d’autres parties du rapport. Pour mémoire, on précisera que peu de mouvements sectaires ont pu démontrer le caractère désintéressé de leur gestion, et, parmi les vérifications fiscales relatives aux sectes les plus importantes, seul le contrôle des Témoins de Jéhovah n’a pas pu établir le caractère lucratif des activités déployées.

      L’absence de déclaration entraîne un redressement qui peut porter, selon le cas de figure, sur un ou plusieurs des principaux impôts commerciaux, à savoir l’impôt sur les sociétés, la TVA et la taxe professionnelle. Le total des rappels et des majorations ou intérêts de retard qui en découlent peut atteindre des montants conséquents. L’ensemble des taxations des revenus tirés de cours, d’entretiens et de la vente de matériel ou de publications réalisées par les associations scientologues contrôlées entre 1981 et 1989 s’établit à 66,4 millions de francs, tous impôts confondus. Intervenu en 1983, le redressement de l’Association internationale pour la conscience de Krishna atteignait 28 millions de francs. Les activités d’hébergement, de stages, de cours et de vente d’objets exercées entre 1987 et 1991 par la Soka Gakkaï ont fait l’objet d’une taxation, à hauteur de 19,4 millions de francs. Le même sort a été réservé aux prestations d’enseignement ésotérique et à distance réalisées, de 1989 à 1991 puis de 1992 à 1994, par l’AMORC, redressé à hauteur de 117,8 millions de francs, avant de bénéficier, on l’a vu, d’une remise de 32,1 millions de francs. Les pratiques commerciales des associations appartenant au mouvement Tradition Famille Propriété (édition de livres, location de fichiers, activités de démarchage) ont été taxées à hauteur de 9,1 millions de francs pour les revenus qui en ont résulté entre 1990 et 1992. Un redressement a également été prononcé, pour le même motif mais pour des montants moindres, à l’encontre des sectes suivantes : le Mouvement raëlien, l’Association des chevaliers du lotus d’or (ancienne dénomination du Mandarom), Au cœur de la communication, Horus et Spiritual Human Yoga (nouvelle dénomination de Human Universal Energy). Un contrôle est actuellement en cours pour l’association Mahikari.

      b) L’absence de déclaration des dons manuels

      L’article 757 du code général des impôts assujettit aux droits de donation " les actes renfermant soit la déclaration par le donataire ou ses représentants, soit la reconnaissance judiciaire d’un don manuel ", et précise que " la même règle s’applique lorsque le donataire révèle un don manuel à l’administration fiscale ".

      Il découle de cet article que les dons manuels sont soumis aux droits de donation lorsqu’ils sont révélés par le donataire à l’administration fiscale, soit spontanément, soit, et c’est le cas le plus fréquent, à la demande de celle-ci.

      Les services fiscaux ont utilisé la possibilité de demander l’origine de dons manuels reçus par des associations sectaires dans deux cas : les Témoins de Jéhovah et le Mandarom.

      Le contrôle de l’Association Les Témoins de Jéhovah a révélé l’existence d’une recette de 250.579.860 francs reçue sous la forme de dons entre le 1er janvier 1993 et le 31 août 1996. Conformément au code général des impôts, ces dons ont été assujettis aux droits de donation calculés au taux applicable aux mutations à titre gratuit entre personnes non parentes, soit 60 %. Il en est résulté un rappel de 150, 3 millions de francs. L’association n’ayant pas payé ces droits dans les délais, s’y sont ajoutés les intérêts de retard, soit 26,8 millions de francs, calculés en application de l’article 1727 au taux de 0,75 % par mois. En outre, la même association n’a pas déposé, dans un délai de 30 jours suivant une deuxième mise en demeure, une déclaration comportant l’indication d’éléments à retenir pour l’assiette ou la liquidation de ces droits. En conséquence la majoration de 80 % (soit en l’espèce 120,3 millions de francs) prévue à l’article 1728.3 du même code a été appliquée. Le total des droits et pénalités émis à l’encontre de l’Association Les Témoins de Jéhovah a donc atteint 297,4 millions de francs, somme mise en recouvrement le 18 janvier 1999.

      L’Association des Chevaliers du lotus d’or, à l’époque instance nationale du Mandarom, a fait l’objet d’un redressement similaire qui a atteint 9,8 millions de francs au titre des dons manuels perçus en 1995 et 1996. Cette somme a été mise en recouvrement le 23 décembre 1998.

      La Commission s’étonne que la taxation des dons manuels ne concerne que deux mouvements. Elle tient à rappeler que ces dons constituent la principale source de revenus des sectes, et qu’il n’existe aucune raison de les exonérer des droits de donation prévus par la loi. Le code général des impôts trouverait amplement matière à s’appliquer, et par conséquent le Trésor public matière à récupérer des droits qui lui sont dûs, auprès des multiples associations sectaires qui reçoivent des dons manuels dans des proportions souvent importantes. Est-il notamment normal que les différentes instances des Témoins de Jéhovah, autres que l’association précitée, n’aient pas été contrôlées et redressées pour les millions de francs qu’elles ont perçus sous cette forme ?

      c) L’absence de déclaration des revenus du patrimoine

      Les associations sectaires sont souvent détentrices, on l’a vu, de valeurs financières qui leur procurent des revenus. En application de l’article 206-5 du code général des impôts, les associations non soumises à l’impôt sur les sociétés " sont assujetti(e)s audit impôt en raison (…) des revenus de capitaux mobiliers " dont elles disposent. Indépendamment du caractère lucratif de leurs activités, toutes les associations sont donc imposables au titre de leurs produits financiers.

      Malgré l’importance des revenus tirés de ses actifs financiers, l’Association Les Témoins de Jéhovah ne se conformait pas, avant son contrôle, à cette disposition. Elle a par conséquent subi un rappel d’impôt de 7,3 millions de francs pour les produits perçus entre septembre 1992 et août 1996.

      Là encore, la Commission s’interroge sur l’absence de redressement similaire concernant les nombreuses associations sectaires propriétaires d’un portefeuille. Les services fiscaux n’ont communiqué, outre l’exemple de l’organisation jéhoviste, que le cas de l’Association du Temple de la Pyramide, autre instance du Mandarom, dont les produits financiers ont fait l’objet d’un rappel de 217.000 francs auxquels se sont ajoutés 73.000 francs d’intérêts de retard. Les résultats des contrôles réalisés sur d’autres associations ne mentionnent aucun rappel d’impôts à ce titre. Certaines d’entre elles ont pourtant déclaré à la Commission disposer de revenus financiers. On peut craindre que ces structures, qui affirment le caractère non lucratif de leurs activités, ne paient pas régulièrement l’impôt sur leurs revenus financiers.

      2.– L’utilisation des sociétés filiales à des fins frauduleuses

      Les sociétés crées ou contrôlées par les organisations sectaires peuvent constituer un instrument d’évasion fiscale, notamment par différents mécanismes de majoration de charges. Le cas de figure le plus couramment utilisé consiste à comptabiliser une charge maximale dans les résultats des sociétés du réseau, afin de diminuer leurs impôts par la production de factures fictives ou correspondant, en fait, à des prestations bénéficiant aux structures associatives de l’organisation qui, elles, ne sont pas toujours imposables. On observe de tels transferts de frais pour la rémunération du personnel, mis à la charge des structures commerciales, mais travaillant de fait pour les structures associatives. Le recours à des fausses factures peut être un moyen de faire financer par les entreprises du réseau le train de vie des dirigeants de la secte, et notamment leurs frais de déplacement. La formation d’un ensemble soudé de sociétés commerciales adossées à des associations permet ainsi de constituer une véritable économie souterraine sectaire.

      De fait, la Commission a pris connaissance de nombreux exemples de fraude fiscale pratiquée par des sociétés dont le lien direct avec une organisation sectaire est établi.

      a) La fraude à la TVA

      Le contrôle des déclarations de TVA a permis de relever une minoration à la fois d’assiette et de taux. Les pratiques les plus couramment utilisées consistent en des déductions fictives ou injustifiées, l’omission d’assujettissement ou l’application de taux inférieurs au taux légal.

      Sur la base de la constatation de ces pratiques, l’administration fiscale a notifié les rappels de TVA suivants, majorations incluses : 27,9 millions de francs pour les activités exercées de 1985 à 1995 par les trois sociétés () qui ont préfiguré l’actuelle Fédération d’agrément des réseaux (FAR) ; 2,2 millions de francs pour la société NEOM créée par M. Patrick Véret, fondateur du mouvement Energo chromo kinèse (de 1995 à 1997) ; 506.000 francs, au titre de la seule année 1995, pour LH France, SARL contrôlée par Mahikari ; et 355.000 francs pour les diverses structures constituées par M. Serge Marjollet, dirigeant de Prima Verba ().

      b) La minoration de l’assiette de l’impôt sur les sociétés

      Les trois contrôles qui viennent d’être cités ont également révélé des omissions de recettes et la déduction de charges non déductibles ou de royalties fictives. Les redressements correspondants ont représenté, pour les mêmes périodes d’activités que celles mentionnées ci-dessus, 198,5 millions de francs pour la FAR, 629.000 francs pour NEOM, 450.000 francs pour LH France et 1,1 million de francs pour les structures liées à Prima Verba.

      La vérification d’une société évoquée lors de l’examen des méthodes commerciales sectaires a permis d’établir un transfert frauduleux, par majoration des prix d’achat, de bénéfices au profit de la société mère. Il s’agit de la société de vente de produits pharmaceutiques, Herbalife, pour laquelle, d’après les déclarations faites au rapporteur, l’administration fiscale a fait application de l’article 57 du code général des impôts qui permet de rapporter aux bénéfices imposables des sommes transférées à l’étranger entre entreprises dépendantes, par majoration de prix d’achat, minoration de prix de vente, versement de redevances excessives , octroi de prêts à taux réduit ou abandon de créance. Le rappel d’impôts prononcé à l’encontre d’Herbalife s’est établi à 5,8 millions de francs au titre de l’impôt sur les sociétés pour son activité exercée entre la mi-1990 et la fin de 1993. Le contrôle a également confirmé l’existence d’une vente pyramidale. Les revendeurs domiciliés à l’étranger étaient rémunérés sous la forme d’une remise de 50 %, de manière à soustraire cette rémunération à la TVA. Le rappel de TVA correspondant a atteint 29 millions de francs pour la même période.

      Un autre exemple de société dirigée par un scientologue et utilisée pour le compte de la secte a été porté à la connaissance de la Commission. Il s’agit d’une société qui aurait pris en charge les cours de dianétique de son dirigeant, et même ses frais de déplacement à destination des implantations américaines de l’organisation où il suivait une partie de sa " formation ". La Commission n’a cependant pas disposé des résultats du contrôle fiscal dont cette société aurait fait l’objet.

       

      3.– La distribution occulte de revenus

      Plusieurs sectes utilisent les procédés de fraude traditionnels pour faire entrer ou sortir des fonds occultes. Certaines acquisitions d’immeubles ou de parts sociales de sociétés peuvent se faire à partir d’un organisme domicilié dans un pays à fiscalité privilégiée. Ces cas relèvent des aspects internationaux de la fraude sectaire qui seront examinés plus loin. D’autres techniques, comme la surfacturation et la revente de biens immobiliers acquis sur des fonds occultes, peuvent servir à blanchir de l’argent.

      Du strict point de vue du contrôle fiscal, la Commission a noté plusieurs infractions relevant de la pénalité prévue à l’article 1763 A du code général des impôts. Cet article stipule en effet que les personnes morales passibles de l’impôt sur les sociétés qui versent ou distribuent des revenus à des personnes dont elles ne révèlent pas l’identité, sont soumises à une pénalité égale à 100 % des sommes versées ou distribuées.

      La distribution occulte de revenus est une des pratiques frauduleuses les plus couramment utilisées par les sectes. D’après les informations transmises au rapporteur, les contrôles fiscaux ont établi le versement clandestin des sommes suivantes : 111,8 millions de francs pour les trois sociétés liées à la FAR mentionnées plus haut (période allant de 1985 à 1995) ; 32,1 millions de francs pour l’Association internationale pour la conscience de Krishna (en 1982 et 1983) ; 25,3 millions de francs pour le Celebrity center, l’Eglise de scientologie de Paris et celle de Lyon () (de 1981 à 1989) ; 3,3 millions de francs pour les deux associations constituant le mouvement Tradition famille propriété (période allant de 1988 à 1990 puis de 1992 à 1994) ; 1,2 million de francs pour les structures gravitant autour de M. Serge Marjollet ; 748.000 francs dans le cas du Mouvement raëlien ; et 186.000 francs pour la société NEOM.

      Lorsqu’elles sont versées à l’étranger, les sommes distribuées sont également assujetties à la retenue à la source. C’est à ce titre que l’Eglise de scientologie de Paris a fait l’objet d’un rappel de 847.000 francs, hors pénalités.

       

      B.— une fraude généralement impunie

      Malgré leur importance, les dettes fiscales des sectes restent la plupart du temps non honorées et font très rarement l’objet de poursuites pénales.

      1.– Une dette très importante

      La Direction générale des impôts a déclaré à la Commission ne pas procéder à un suivi spécifique des dettes des personnes liées à des sectes et n’a donc pas été en mesure d’estimer de manière globale leur taux de recouvrement. En outre, pour plusieurs Dossiers mentionnés plus haut, elle n’a pas pu indiquer avec exactitude le solde de la créance non recouvré. Ces lacunes inquiètent la Commission qui déplore que l’administration fiscale n’établisse pas un suivi précis des créances qu’elle détient sur des organismes qui pratiquent souvent la fraude à grande échelle.

      L’organisation du ministère des finances n’est pas propice à un tel suivi. Le cloisonnement des services de la Direction générale des impôts ne facilite pas la circulation de l’information. A de nombreuses reprises, la Commission a constaté que la Direction nationale des enquêtes fiscales n’était pas au courant des suites réservées à ses propositions de contrôle, la remontée de l’information des services déconcentrés vers l’administration centrale ou au sein de cette dernière se faisant de manière partielle. S’agissant du problème particulier du recouvrement, la séparation en deux réseaux, celui des impôts et celui du Trésor, est manifestement contreproductif. La Direction générale des impôts n’a pas en effet d’informations sur le paiement des créances recouvrées par les comptables du Trésor.

      En tout état de cause, la Commission n’est pas en mesure d’évaluer le montant global des créances fiscales détenues par l’Etat sur les principales sectes. La seule information dont elle dispose à l’échelle nationale provient de la Direction de la comptabilité publique, et ne concerne par conséquent que les créances recouvrées par le circuit du Trésor. Comme le montre le tableau ci-dessous, bien qu’elles ne portent que sur une partie de la fraude et excluent notamment des redressements récents comme la taxation pour près de 300 millions de francs des dons des Témoins de Jéhovah, ces dettes sont supérieures à 500 millions de francs.

       

      État des créances détenues par la Comptabilité publique
      sur les principaux mouvements sectaires

      (en francs)

      Nom de la secte

      Montant

      Amorc

      94.016.263,00

      Eglise du Christ

      5.368,00

      Eglise néo-apostolique de France

      72.064,00

      Energo Kromo Kinèse

      103.032,00

      Fédération d’agrément des réseaux – Groupement européen des professionnels du marketing

      209.007.245,00

      HUE ou SHY (Spiritual Human Yoga)

      114.218,00

      Invitation à la Vie

      165.106,00

      Krishna

      164.993.938,00 ()

      La Mission / Eglise évangélique de la Pentecôte de Besançon

      5.392,00

      Le Patriarche / Association Lucien Engelmajer

      2.198.151,00 ()

      Mandarom

      1.473.556,00

      Méthode Silva / association Mieux Etre Alpha

      126.626,00

      Moon

      28.283.204,00

      Mouvement Raëlien

      1.857.445,00

      Nouvelle Acropole

      56.969,00

      Orkos

      198.562,00

      Prima Verba

      671.740,00

      Rose Croix d’Or / association cultuelle Lectorium Rosicrucianum

      116.039,00

      Scientologie

      23.926.094,00 ()

      Soka Gakkaï

      15.795.513,00

      Témoins de Jéhovah

      116.653,00

      Tradition Famille Propriété

      2.024.898,00

      TOTAL

      545.341.465,00

       

       

      2.– Une dette généralement impayée

      La Commission tient à dénoncer l’impunité qui, de fait, bénéficie aux sectes : il est très rare qu’elles soient contraintes d’honorer leurs dettes fiscales et l’administration fiscale peut être amenée à prononcer des admissions en non-valeur. Cette dernière a par exemple renoncé, pour insuffisance d’actif, à une créance représentant la bagatelle de 165 millions de francs, détenue sur les structures représentant Krishna en France qui pourtant disposent, par ailleurs, de biens immobiliers importants. Sur ce point, le caractère parcellaire des informations transmises à la Commission ne lui permet d’avoir qu’une vue limitée d’un phénomène qui recouvre probablement une dimension encore plus inquiétante.

      Plusieurs exemples de dettes importantes et anciennes restées à ce jour impayées peuvent être avancés. Les redressements prononcés à l’encontre de l’AMORC (118 millions de francs), la Scientologie (140,5 millions de francs), la Soka Gakkaï (19,5 millions de francs) n’ont toujours pas été recouvrés ou l’ont été très partiellement, bien qu’ils portent sur des activités remontant aux années 1980.

      Le recouvrement des dettes des sectes s’avère très difficile. Ces dernières organisent, on l’a vu, systématiquement leur insolvabilité. Pour certaines, leurs biens en France sont limités. Les autres transfèrent, dès l’engagement du contrôle, toutes leurs activités et les biens dont elles disposent vers une nouvelle structure juridique créée à cet effet. Dans de telles conditions, les poursuites traditionnelles (avis à tiers détenteur ou saisie immobilière) s’avèrent inutiles, et les comptables ont été conduits à prendre, avec autorisation du juge de l’exécution, des mesures conservatoires dès qu’une procédure est engagée. On notera que les procédures de redressement et de liquidation judiciaire constituent un moyen d’échapper à une partie de sa dette : l’article 1740 octies du code général des impôts prévoit, en cas de jugement prononçant l’application de ces procédures, une remise des frais de poursuite et des pénalités fiscales.

      Plusieurs exemples particulièrement révélateurs méritent un développement particulier.

      La créance de la Direction générale des impôts sur l’Association du Temple de la Pyramide, estimée au total à 16,7 millions de francs pénalités incluses, a été mise en recouvrement le 23 décembre 1998 par voie d’huissier. Cependant, après les visites domiciliaires et peu de temps avant l’engagement des opérations de contrôle fiscal, cette association avait décidé sa dissolution, tout en prenant soin de transférer son patrimoine à une autre personne morale, le Vajra Triomphant. Le transfert des actifs disponibles du Temple de la Pyramide alors que ses dettes fiscales étaient loin d’être éteintes, démontre clairement une volonté d’organiser l’insolvabilité. Une gestion " normale " aurait consisté à régler les dettes de l’association avant de distribuer le boni de liquidation ou de décider d’en faire apport à une autre personne morale. En raison de la liquidation de l’association, le comptable n’a pas pu demander de mesures conservatoires, et dorénavant seules des mesures contentieuses sont possibles.

      S’agissant des Témoins de Jéhovah, l’administration semble avoir pu éviter que l’association redressée organise son insolvabilité avant la mise en recouvrement des droits. A la fin de la procédure de vérification, le comptable a en effet obtenu du juge de l’exécution l’autorisation de prendre des mesures conservatoires sur les biens appartenant à la secte, et notamment sur ses installations d’impression. La mise en recouvrement d’une créance de 297,4 millions de francs a été, on l’a vu, notifiée le 18 janvier 1999. Cependant, dans le cadre de la procédure de constitution de garanties résultant de la demande de bénéfice de sursis de paiement, les hypothèques conservatoires ont été converties en mesures définitives pour 297 millions de francs (biens situés à Louviers), 2,5 millions de francs (biens situés à Verneuil) et 1,5 million de francs (biens situés à Boulogne-Billancourt). Par ailleurs, le nantissement d’un portefeuille-titres a été accepté pour 20 millions de francs. Cet accord prévoit en contrepartie la mainlevée de la saisie conservatoire du matériel d’impression de Louviers. En conséquence, la secte va pouvoir, comme elle a déclaré en avoir l’intention, organiser le déménagement de ces installations à Londres.

      L’exemple de l’Eglise de Scientologie de Paris mêle une recherche systématique de l’insolvabilité et l’intervention de sources de financement étrangères. Le non recouvrement des dettes de cette association s’explique par la faiblesse de ses actifs. Les capitaux provenant de ses recettes sont, pour une part prépondérante, sortis du territoire. L’Eglise n’a procédé à aucun investissement en France, sous réserve de quelques aménagements réalisés dans des locaux loués, de matériels achetés en leasing et de stock de publications sans véritable valeur marchande. Après plusieurs tentatives restées vaines de recouvrement forcé, les comptables des impôts et du Trésor ont assigné l’association en liquidation judiciaire. Toutefois, en application de la loi du 25 janvier 1985, en vigueur à l’époque, le redressement judiciaire a été prononcé avant d’être converti en liquidation. En effet, afin d’éviter cette dernière et pour tenter de garder le bénéfice de la première procédure, l’association a offert, à deux reprises, d’acquitter une partie de sa dette avec des capitaux provenant de l’étranger. En mars 1995, la branche américaine de la secte a, en application de la réglementation des investissements étrangers en France, présenté à la Direction du Trésor une déclaration préalable relative à la reprise des actifs de l’Eglise de Scientologie de Paris. À la demande du ministère de l’Intérieur, le ministre de l’Economie a, le 27 avril 1995, exercé son droit d’ajournement pour des raisons d’ordre public. En novembre 1995, l’association a, à nouveau, saisi les services du Trésor d’un projet de substitution proposant qu’un trust anglais, agissant pour le compte de l’organisation scientologue américaine, apporte la somme nécessaire à l’apurement des dettes fiscales en cause. Cette seconde tentative a été repoussée le 29 novembre 1995 pour les mêmes motifs d’ordre public. Bien que cette décision ait pour effet d’empêcher le recouvrement d’une créance de l’Etat, le ministre de l’Economie a considéré qu’un choix contraire aurait permis, avec l’accord officiel des pouvoirs publics, la reprise de l’activité commerciale de l’implantation parisienne de la secte.

      3.– L’absence de poursuites pénales

      Les articles 1741 et suivants du code général des impôts prévoient des poursuites pénales pour fraude fiscale et fixent les sanctions correspondantes. En application de l’article L.229 du livre des procédures fiscales, les poursuites pénales sont diligentées par le service chargé de l’établissement de l’assiette et du recouvrement de l’impôt.

      Les exemples d’application de ces dispositions aux dirigeants des sectes sont, d’après les informations transmises à la Commission, rarissimes. Il n’existe en effet que trois cas. Le premier concerne l’Association pour l’unification du christianisme mondial dont les dirigeants ont été poursuivis pour absence de dépôt de déclaration et de comptabilisation de certaines de leurs activités de 1979 à 1981, puis condamnés pour fraude fiscale le 26 janvier 1988 par la Cour d’appel de Paris. Les dirigeants de l’Association internationale pour la conscience de Krishna ont été reconnus coupables de fraude fiscale pour tenue d’écritures incomplètes, inexactes ou fictives par un jugement du Tribunal correctionnel de Châteauroux en date du 23 janvier 1989, confirmé par un arrêt de la Cour d’appel de Bourges du 19 octobre 1989. Par ailleurs, deux scientologues, dirigeants de la SARL L’école du rythme, ont fait l’objet, le 5 octobre 1998, de la même condamnation par le Tribunal de grande instance de Paris, pour dissimulation de sommes passibles de l’impôt sur les sociétés au titre des années 1992 et 1993.

      En revanche, les poursuites envisagées contre le dirigeant de l’Association cultuelle du Temple de la Pyramide, pour organisation d’insolvabilité, n’ont pas été engagées, la Commission des infractions fiscales ne les ayant, à ce jour, pas autorisées. De même, la proposition, déposée le 2 octobre 1992 , de poursuivre pénalement M. Jean-Jacques Mazier, responsable de l’Eglise de scientologie de Lyon, a été abandonnée le 6 octobre 1993.

      La Commission déplore la réticence de l’administration fiscale à déférer devant le juge les pratiques frauduleuses qu’elle met à jour lors de ses contrôles. Elle y voit une garantie d’impunité pour les dirigeants des sectes. Comment en effet ne pas faire un parallèle entre le refus de l’administration fiscale de transmettre au parquet les activités frauduleuses de M. Jean-Jacques Mazier, et les décisions du Tribunal de grande instance puis de la Cour d’appel de Lyon qui, quelques mois plus tard, ont établi la part de responsabilité de ces mêmes activités dans le suicide de Patrice Vic ?

       

      IV.— Les dimensions internationales de la fraude sectaire

      Le phénomène sectaire a acquis, on l’a vu, une dimension internationale qui se manifeste par l’existence d’une structure mère située à l’étranger, et par des activités qui dépassent largement les frontières. Cette dimension se retrouve dans les pratiques frauduleuses sectaires. A travers des circuits de financement plus ou moins sophistiqués, les revenus dégagés par la fraude peuvent trouver à l’étranger leur lieu de destination finale.

      Dernier maillon de la fraude sectaire, les transferts de fonds à l’étranger constituent l’aspect du phénomène le plus inaccessible, parce que le mieux occulté.

      A.— des circuits internationaux de financement occulte

      Des informations attestant l’existence de transferts occultes de fonds vers ou depuis l’étranger ont été portées à la connaissance de la Commission. Malgré leur importance, ces sommes sont difficilement contrôlables et, de fait, peu vérifiées.

      1.– L’importance des transferts de fonds depuis ou vers l’étranger

      S’agissant de la Scientologie dont l’organisation financière internationale va faire l’objet d’un développement spécifique, d’importants mouvements bancaires avec l’étranger ont pu être établis. Le compte chèque postal de l’Eglise de scientologie de Lyon a par exemple été crédité de 955.000 francs entre janvier et avril 1996, par des virements de sommes en provenance du compte de la société SIRT SOR Services Ldt ouvert à la Kredit Bank de Luxembourg. Cette société domiciliée à East Grinstead en Grande-Bretagne constitue une des principales instances internationales de la secte. Elle est notamment le principal associé de la SARL Scientologie Espace Librairie domiciliée rue Jules César à Paris, vers laquelle elle a transféré depuis le Luxembourg 690.000 francs de juillet à novembre 1995.

      Le vice-président de l’association L.J. Engelmajer a été, à deux reprises, arrêté par les services des douanes en provenance d’Espagne, alors qu’il était en possession de 1,5 million de francs en espèces. Il n’a pas été en mesure de justifier l’origine de ces sommes.

      Un haut responsable de l’association Sukyo Mahikari - Lumière de vérité, résident luxembourgeois, a précisé devant la Commission que des offrandes versées en espèces étaient transférées au Luxembourg jusqu’en 1995, date à laquelle il a demandé que ces pratiques cessent.

      La SARL Orkos Diffusion, créée par M. Jean-Claude Burger, a mis en place un circuit de transfert de capitaux vers l’Indonésie. Les fonds provenaient d’un compte de la Bank Ekspor Impor Indonésia ouvert auprès de la Chase Manhattan Bank aux Etats-Unis. Ils transitaient ensuite sur un compte en dollars ouvert, en janvier 1996, auprès de la Bank Ekspor Import Indonésia à Paris, pour être finalement virés sur un compte ouvert à Bali auprès de la même banque. Le total des 70 virements ainsi effectués de janvier 1996 à juillet 1997 a dépassé 750.000 dollars.

      Le Mandarom a récemment fait l’objet d’une escroquerie. Ce cas, apparemment unique, de secte escroquée prêterait à sourire s’il n’était pas indirectement lié à des pratiques sectaires qui ont fait l’objet de plaintes pour viol. En 1996, l’Association du Vajra Triomphant disposait d’une importante somme, dont 14,7 millions de francs en liquidités. Ces fonds avaient probablement pour origine les dons versés à la secte. Il a été notamment établi qu’une partie provenait d’Afrique. L’impossibilité de prouver que le donateur demeurait en France plus de six mois et un jour a cependant empêché d’envisager des suites fiscales. Les disponibilités détenues par l’association ont été transférées en Italie où elles ont été placées sur trois comptes différents, moyennant des rémunérations importantes (notamment, 7 % pour une somme de 2,5 millions de dollars, et 10 % pour un montant de 2 millions de francs). Au total, ce sont 17 millions de francs qui ont été investis dans la péninsule italienne. Pour réaliser cette opération, les dirigeants de l’association ont fait appel à un intermédiaire, connu sur la place de Marseille, qui s’est révélé être un escroc. Prétextant la nécessité de procéder au paiement de taxes, il aurait en effet fait signer divers documents en blanc qu’il aurait utilisés pour vider certains comptes. La secte aurait ainsi subi un préjudice estimé à 3 millions de francs.

      Par ailleurs, il est établi que la même association a, en 1997 c’est-à-dire quelques mois après l’affaire italienne, décidé de transférer 3,8 millions de francs en Suisse. Cette opération a failli tourner aussi mal que la précédente, et la secte a manqué perdre ces fonds qui ont finalement été placés au Luxembourg.

      2.– Des circuits peu contrôlables

      Le contrôle des transferts de fonds à l’étranger soulève des problèmes de taille, exploités par les spécialistes de la fraude, quel que soit le secteur concerné. S’agissant des circuits de financement sectaires, l’importance des sommes versées en espèces grâce à la générosité des adeptes sert de fondement à la fraude. Interviennent également les difficultés rencontrées lors de tout contrôle fiscal ou douanier, à savoir l’insuffisante coopération internationale et surtout l’existence de paradis fiscaux qui garantissent l’opacité et l’impunité des techniques utilisées.

      L’administration peut recourir à plusieurs dispositions légales pour contrôler les aspects internationaux de la fraude. L’article 1649 A du code général des impôts prévoit l’obligation, pour les personnes physiques, les associations ou les sociétés non commerciales, de déclarer les références des comptes qu’elles ouvrent ou qu’elles clôturent à l’étranger. Le livre des procédures fiscales donne à l’administration, en son article L.96A, le pouvoir de se faire communiquer par les établissements financiers les renseignements qu’elle demande. Par ailleurs, en application de l’article 1649 quater A du code précité, les personnes physiques sont tenues de déclarer à l’administration certains transferts de fonds à l’étranger.

      Les services fiscaux ont en outre la possibilité de prononcer des redressements par application des dispositifs de contrôle suivants : imposition de transferts indirects de bénéfices à l’étranger entre entreprises dépendantes (article 57 du code général des impôts) ; remise en cause de la déductibilité de paiements à des non-résidents soumis à un régime fiscal privilégié (article 238 A) ; imposition de bénéfices provenant de pays à fiscalité privilégiée (article 209 B)  ; imposition de sommes versées à l’étranger au titre de services rendus en France (article 155 A) ; et imposition des transferts d’actif hors de France (article 238 bis OI).

      Il est révélateur que la Direction générale des impôts ait déclaré qu’aucune de ces dispositions n’a été mise en œuvre à l’encontre des structures sectaires qu’elle a contrôlées (). Malgré l’importance des sommes en cause, il semble que le transfert de leurs fonds à l’étranger reste pratiquement incontrôlable.

      La position de l’administration fiscale peut aussi s’expliquer par l’absence d’exploitation des résultats de ses contrôles. Les déclarations d’ouverture ou de clôture de compte à l’étranger ne font par exemple l’objet d’aucune centralisation, et ne relèvent que du centre des impôts territorialement compétent. S’agissant de l’application des dispositions relatives au contrôle de l’évasion fiscale internationale, les résultats des vérifications sont centralisés de manière manuelle, et ne permettent pas de connaître avec précision les pratiques déployées. Il est clair que les services perdent ainsi des informations précieuses sur l’ampleur des techniques d’évasion de capitaux utilisées par les sectes.

      B.— les exemples de financement international de sectes

      Le financement international de certaines sectes passe par les techniques traditionnelles de la fraude internationale. Les maisons mères des organisations sectaires ou leurs filiales commerciales peuvent être domiciliées dans des pays à fiscalité privilégiée, et différents montages peuvent être conçus pour concentrer les bénéfices dans les zones où la rentabilité est maximale. On peut notamment citer le recours aux honoraires sans contrepartie réelle, aux prêts bancaires fictifs ou à la surfacturation de prestations, le surcoût étant déposé à l’étranger. Toutes ces techniques ont été parfaitement décrites dans le rapport annuel 1997 du Service central de prévention de la corruption dont un des chapitres était consacré aux sectes.

      La Commission souhaite décrire trois mécanismes particuliers qui lui semblent constituer les exemples les plus représentatifs.

      1.– Les transferts sous couvert d’une marque déposée

      Le recours au dépôt de marque est une manière de transférer à l’étranger une partie des fonds drainés par un réseau d’établissements franchisés. On a vu que c’est une technique de plus en plus utilisée par les sectes. Le vocabulaire utilisé par la dianétique a fait l’objet d’une telle procédure, et entraîne le paiement de " copy rights ". L’affiliation à l’organisation Wise regroupant des entreprises dirigées par des scientologues à travers le monde reproduit le même schéma.

      Les sectes spécialisées dans le développement personnel sont organisées selon le même dispositif. Dans le cas d’Avatar, la société mère, Star’s Edge International, implantée en Floride, a créé une marque déposée pour l’utilisation de la méthode de formation qu’elle a mise en place. Les cours dispensés en France par le réseau de personnes morales ou physiques titulaires d’un droit d’utilisation entraînent des droits d’auteur qui sont transférés aux Etats-Unis. Un transfert similaire est observé dans le cas des stages Landmark qui génèrent le versement de redevances outre-Atlantique.

      L’ampleur des transferts réalisés par Avatar a été jugée suffisamment inquiétante pour que la Direction générale des impôts diligente une enquête qui devra établir la légalité fiscale des pratiques utilisées.

      2.– La fuite de capitaux par l’intermédiaire d’une société civile immobilière

      La secte Krishna a réalisé dans le Jura deux opérations immobilières dans des conditions pour le moins floues.

      L’Association franco-suisse pour la conscience de Krishna a acquis en 1994, on l’a vu, le château de Bellevue à Chatenois. Cette acquisition s’est faite par l’intermédiaire d’une société civile immobilière détenue par la Fondation suisse pour la conscience de Krishna. En 1997, le château a été revendu à une autre SCI contrôlée par la secte, grâce à un prêt d’une société, Business Investment Establishment, domiciliée à Vaduz (Liechtenstein). Selon les informations fournies à la Commission, le prix de vente aurait été minoré de 5,3 millions de francs, et le produit de la plus-value ainsi minorée aurait été en grande partie transféré au Luxembourg.

      Parallèlement, la secte procédait dans le même département à l’achat d’une deuxième propriété, le château de Romange. Le domaine en question a été acquis en 1994 par un adepte par l’intermédiaire d’une société civile immobilière, bénéficiaire d’un prêt de 2,6 millions de francs octroyé par la banque Harwanne. Il a été revendu en 1997 à une personne physique. Il a été établi que le compte de cette dernière a bénéficié, afin de réaliser l’opération de revente, des virements suivants : 1,9 million de francs, 722.000 deutsche Mark et 200.000 dollars depuis la Liechtenstein Landesbank de Vaduz, ainsi que près de 427.000 francs depuis la Swiss Bank Corporate à Zurich et Bâle.

      La reconstitution de cette opération ne semble pas, pour le moment, avoir permis d’établir l’origine des fonds utilisés pour l’acquisition comme pour la revente. Reste également inexpliqué le fait que les transactions financières aient eu lieu dans le Var, alors que la secte était déjà implantée dans le Jura. En tout état de cause, les techniques utilisées sont caractéristiques d’une volonté manifeste de transférer des fonds à l’étranger, voire des méthodes généralement observées dans le blanchiment de capitaux.

      3.– L’exemple de la collecte des fonds scientologues

      L’instruction relative à l’Eglise de scientologie de Lyon a permis de reconstituer les circuits internationaux de financement de la secte. L’organisation internationale de la Scientologie est financée soit par des versements directs représentant le paiement des cours de dianétique et des autres prestations de la secte, soit par un prélèvement sur les revenus perçus par ses implantations locales.

      S’agissant de l’Europe, les fonds sont destinés à deux instances internationales : l’Eglise de Copenhague, centre européen de la secte, et l’organisation mère implantée aux Etats-Unis. Les sommes peuvent être versées à ces deux entités soit directement par l’adepte, notamment lorsqu’il est envoyé dans les deux pays concernés pour suivre une formation, soit par le responsable d’une association locale auquel le prix des séances est versé en mains propres (), soit enfin par chaque mission qui reverse une partie de son chiffre d’affaires aux Etats-Unis et paie à l’Eglise de Copenhague des sommes censées représenter le coût de l’achat du matériel " pédagogique " qu’elle utilise.

      L’ensemble de ces transferts s’effectue soit par virement bancaire, soit par mandats lettres, soit par remise d’espèces. L’Eglise de Copenhague disposait d’un compte (intitulé compte 041) ouvert au Crédit lyonnais à Paris sur lequel étaient crédités les chèques ou les virements bancaires émis par les adeptes ou les missions. De leur côté, les sommes destinées à l’organisation mère étaient virées sur le compte " Lucas " ouvert à la Kredit Bank à Luxembourg, pour être aussitôt transférées aux Etats-Unis. Afin de faire disparaître la trace des mouvements de fonds, les adeptes sont également invités à régler leur contribution par mandats lettres, envoyés notamment au Danemark. Enfin, la secte pratique, quel que soit le niveau de l’organisation auquel on se trouve, le maniement d’espèces à grande échelle.

      Il n’est pas inutile de rappeler que les fonds ainsi transférés d’Europe vers les Etats-Unis atteignent des montants considérables. L’instruction a en effet établi que 943.545.652 francs ont transité sur le compte " Lucas " de janvier 1988 à mai 1991.

      Ces circuits de financement peuvent être utilisés à rebours. Les instances internationales peuvent notamment décider de renflouer les églises locales. L’apurement de la dette fiscale de l’Eglise de scientologie de Paris a été l’occasion de tractations au cours desquelles les instances internationales ont proposé d’apporter plusieurs dizaines de millions de francs.

       

      V.— la nécessité de renforcer la mobilisation de l’administration

      Tout en étant sensible aux progrès déjà faits, la Commission présente un certain nombre de propositions destinées à améliorer les performances de l’appareil public dans le combat contre la fraude sectaire.

      A.— Des efforts importants mais inégaux

      Les moyens de contrôle et d’appréhension du phénomène sectaire ont été renforcés et une collaboration entre les administrations s’est instaurée, même s’ils restent encore très insuffisants. En outre, la coopération internationale se heurte à de nombreux obstacles. Les limites des dispositifs de lutte contre les sectes montrent l’importance du travail que la Mission nouvellement créée doit encore réaliser.

      1.– Les moyens

      Plusieurs ministères, parmi les plus concernés par le phénomène, ont mis en place des mécanismes destinés à intégrer les déviances sectaires dans leur mission de protection de la société.

      ð  Le ministère de la Justice s’est mobilisé de façon indiscutable. Une première circulaire a été publiée le 29 février 1996 par la Chancellerie afin d’appeler l’attention sur les dangers des sectes. Elle reprenait, en annexe, la liste des mouvements établie par la commission d’enquête parlementaire de 1995.

      Le processus de sensibilisation du système judiciaire au phénomène sectaire s’est traduit récemment par la création d’un poste de chargé de mission au niveau de l’administration centrale, à la direction des Affaires criminelles et des grâces, en vue, d’une part, de centraliser les informations sur les activités sectaires, d’autre part, d’assister en tant que de besoin les magistrats dans un domaine très spécifique sur lesquels ils disposaient jusqu’ici de très peu d’éclairages.

      Sur le plan fonctionnel, une nouvelle circulaire publiée le 1er mars 1998 invite les magistrats des parquets à être beaucoup plus attentifs à tous les signalements qui leur parviendraient et feraient état de risques sectaires.

      Elle met en place trois séries de mesures pour donner une impulsion nouvelle à l’autorité judiciaire :

      — un échange d’informations entre l’autorité judiciaire et les associations de lutte contre le phénomène sectaire ".

      Les procureurs de la République sont incités à établir des relations avec les associations fédérées au sein de l’Union nationale des associations pour la défense de la famille et des individus (UNADFI) et du Centre Roger Ikor (CCMM), afin d’étudier ensemble les agissements des mouvements sectaires opérant dans leur ressort.

      — la désignation d’un " correspondant sectes " auprès de chaque Parquet général.

      Le ministère de la Justice devrait, par les 35 correspondants qui ont ainsi été nommés, disposer dans chaque cour d’appel d’un relais d’information pour la Chancellerie et d’un facteur de sensibilisation locale à la lutte contre les sectes. Ce magistrat doit notamment veiller à la coordination de l’activité judiciaire avec celles des autres services de l’Etat.

      — l’institutionnalisation de réunions de coordination ".

      La circulaire confie à chaque correspondant du Parquet général le soin de réunir régulièrement les services publics concernés (police, gendarmerie, services du travail et de l’emploi, inspections de l’éducation nationale et de la jeunesse et des sports, douanes, services fiscaux, directions départementales des affaires sanitaires et sociales, directions départementales de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes) et les procureurs de la République du ressort, en sollicitant aussi la participation des conseils généraux lorsque la protection de l’enfance est en cause.

      Ces réunions doivent servir à déterminer des critères de signalement aux parquets, à évaluer les moyens à mettre en œuvre pour lutter contre les dérives sectaires et à choisir les procédures les plus efficaces pour y parvenir.

      Avant la publication de cette circulaire, le ministère de la Justice avait organisé, en mars 1998, une session de formation à l’Ecole nationale de la Magistrature, à destination des magistrats, des agents de la protection judiciaire de la jeunesse et de l’administration pénitentiaire. Une deuxième s’est tenue en janvier 1999. Ces sessions sont appelées à se renouveler régulièrement.

      ð  Le ministère de l’Intérieur, par la nature même de ses missions fondamentales, particulièrement la répression des atteintes aux personnes et aux biens, exerce depuis longtemps une surveillance étroite des phénomènes sectaires.

      Une nouvelle impulsion a été donnée par la circulaire du 7 novembre 1997, adressée aux préfets et au préfet de police, et préconisant la mise en place au niveau départemental d’une sensibilisation du public et d’une mobilisation des services administratifs.

      Dans le domaine de l’information, les services des Renseignements généraux ont depuis lors encore perfectionné leurs outils de connaissance. Dans celui de la poursuite des infractions, la police judiciaire a également accompli de considérables progrès, aussi bien dans la compréhension du phénomène que dans les techniques d’enquête.

      ð  Le ministère de la Défense joue un rôle essentiel au travers des missions confiées à la Gendarmerie nationale.

      Celle-ci travaille aujourd’hui, dans le domaine judiciaire comme dans celui du renseignement, sur l’ensemble des secteurs d’activités des mouvements sectaires, en utilisant au mieux le maillage territorial très dense dont elle dispose.

      ð  Le ministère de l’Education a, à la suite du rapport de la précédente commission d’enquête parlementaire, créé en septembre 1996, une cellule chargée de la prévention des phénomènes sectaires, dirigée par un inspecteur général de l’Education nationale.

      Celle-ci a déjà effectué un important travail d’information sur les agissements sectaires dans le milieu éducatif et a recueilli des éléments précis pour la connaissance du phénomène.

      Elle a pu également, à plusieurs reprises, diligenter des enquêtes qui ont permis d’arrêter rapidement des tentatives d’infiltration sectaire dans l’enseignement public, au moyen par exemple de " mallettes éducatives ", dont nous avons eu l’illustration plus haut.

      Elle s’efforce également de mettre en place un programme rigoureux de contrôle de certains établissements privés hors contrats, désormais soumis par le décret du 23 mars 1999 à des obligations scolaires précises et susceptibles de parer au risque de prosélytisme à destination des élèves.

      Enfin, la cellule de l’Education nationale vient de décider de mobiliser les inspecteurs généraux sur le contrôle des établissements privés d’enseignement à distance qui n’ont, jusqu’à maintenant, fait l’objet d’aucune surveillance précise.

      ð  Le ministère chargé des Affaires sociales a engagé de manière inégale une politique de sensibilisation au phénomène sectaire et de prévention à son égard.

      La direction de l’Action sociale, et plus particulièrement la sous-direction du développement social, de la famille et de l’enfance, joue un rôle pilote au sein du ministère. On rappellera que celle-ci a fait réaliser, dans le cadre d’une convention passée avec l’Association pour une recherche interdisciplinaire sur l’existence et la santé (ARIES) un important rapport remis en 1997, sur " Le droit face aux sectes ", qui constitue une somme de réflexions théoriques dans ce domaine. Cette direction a également fait produire un film de sensibilisation sur le thème de " l’adepte face aux sectes ".

      Pour 1999, la direction de l’Action sociale a décidé de privilégier comme premier axe de travail les questions de protection de l’enfance et a adressé, à cet effet, une lettre circulaire aux présidents de conseils généraux. Ayant constaté une insuffisance d’informations sur le terrain, elle a organisé des journées de formation technique à destination des personnels des services extérieurs du ministère : le 15 janvier a eu lieu une première journée sur l’enfance, une seconde journée sera programmée avant la fin de l’année sur les enfants dans les sectes.

      Toutefois, sur un plan plus général, le ministère ne s’est mobilisé que plus tardivement. Depuis juin 1998, un groupe de travail composé de représentants des renseignements généraux, de la justice et des différents services du ministère se réunit tous les deux mois environ. C’est l’occasion d’échanger des informations et de trouver des angles juridiques d’approche du phénomène sectaire.

      Dans le domaine de la santé, le dispositif prévu n’est encore qu’à l’état de projet. Il comprend :

      • la création d’une délégation ou d’un correspondant secte dans chacune des directions ;
      • l’établissement d’un document d’alerte destiné aux services déconcentrés ;
      • la tenue de réunions régulières avec les directeurs d’hôpitaux ;
      • l’organisation de nouvelles sessions de formation dans le cadre de l’Ecole nationale de la Santé publique ;
      • l’incitation des corps professionnels, tels que les psychiatres, à créer des outils d’analyse des agissements sectaires ;
      • l’aide à la prise en charge psychologique des anciens adeptes et de leurs familles en passant des conventions avec les associations concernées ;
      • la réalisation d’une campagne d’information des malades sur les dangers de certaines thérapies de développement personnel et de traitements pseudo-médicaux non éprouvés scientifiquement.

      De même, l’administration de la formation professionnelle ne fait que commencer à prendre la mesure de l’ampleur de l’infiltration des sectes. Il faut reconnaître que la faiblesse de ses moyens ne lui permettait guère de jouer un rôle précurseur dans ce domaine.

      ð  Aux côtés des ministères qui ont adopté, plus ou moins vite, une attitude de pointe dans la lutte contre les déviances sectaires, il faut faire une place à part au ministère de l’Economie et des Finances.

      Si ce ministère est apparu à la Commission souvent timoré et ses services parfois mal coordonnés dans le domaine de la lutte contre la fraude fiscale commise par les sectes, il faut en revanche souligner avec satisfaction, d’une part, l’activité de TRACFIN, d’autre part la mobilisation de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).

      · TRACFIN, service placé sous l’autorité du ministre de l’Economie et des Finances, a été créé par la loi du 12 juillet 1990 avec la mission de recenser, de traiter et de dénoncer aux autorités judiciaires chargées des poursuites, les faits présumés de blanchiment d’argent provenant de trafic de stupéfiants ou de l’activité d’organisations criminelles.

      Pour ce faire, la loi a imposé l’obligation à un certain nombre d’organismes, publics ou privés, ayant à connaître de mouvements de fonds importants, tels que les établissements financiers, les compagnies et les courtiers d’assurances, les sociétés de bourse, les commerçants et changeurs manuels, de déclarer à TRACFIN ceux qui pouvaient leur paraître suspects à ce titre.

      Ces dispositions ont été considérablement renforcées par les lois du 13 mai 1996 et du 2 juillet 1998 qui ont créé le délit de blanchiment et étendu la compétence de TRACFIN.

      Cet organisme a connu depuis sa mise en place opérationnelle, en février 1991, une montée en puissance considérable de son activité et a rencontré, à plusieurs reprises, des cas où des mouvements sectaires étaient impliqués. Au cours des trois dernières années, le service a reçu une dizaine de déclarations de soupçons concernant des associations de type sectaire. Dans chacun des cas, TRACFIN avait été alerté par des établissements bancaires en raison du comportement atypique du détenteur (personne morale ou personne physique) de certains comptes : ressources d’une association visiblement utilisées pour les besoins personnels de ses dirigeants, prêts sans intérêt et sans échéance de remboursements, transferts de fonds excédant manifestement les moyens des personnes émettrices, règlements d’achats de produits à l’étranger sans importations en contrepartie… Six Dossiers ont été transmis aux parquets compétents et une information judiciaire a chaque fois été ouverte.

      Ainsi l’action de TRACFIN peut-elle servir à révéler des affaires qui ne seraient pas apparues, mais également à intervenir pour enrichir des enquêtes en cours.

      ·  La DGCCRF a intensifié, depuis deux ans, la lutte contre l’économie souterraine dans laquelle, on l’a vu, les mouvements sectaires tiennent une place non négligeable.

      Un important programme de formation à l’intention des 2 200 enquêteurs a été mis en place.

      L’arsenal juridique disponible a fait l’objet d’un vade-mecum permettant de repérer et de couvrir le plus grand nombre des infractions pratiquées, avec l’indication correspondante de la procédure à suivre et de l’incrimination à déterminer.

      La lutte opérationnelle contre l’économie souterraine comporte un système de programmation trimestrielle des enquêtes avec un échéancier contrôlé pour la remise des résultats. La direction procède, pour chaque catégorie d’enquêtes, à une sorte d’appel d’offres à ses directions départementales afin de mobiliser celles qui ont déjà acquis une certaine expérience dans les thèmes faisant l’objet de l’enquête. Ce mécanisme présente notamment l’avantage de décloisonner territorialement l’action administrative, ce qui comporte un grand intérêt dans la lutte contre les pratiques sectaires.

      La direction a également institué une coopération active avec les associations de consommateurs et, par extension, avec les associations ayant à connaître des activités sectaires.

      Certaines organisations professionnelles, comme le syndicat de la vente directe, ont été invitées, dans le même esprit, à apporter leur collaboration à la DGCCRF. Celle-ci a permis de repérer quelques pratiques commerciales frauduleuses émanant de mouvements sectaires.

      A également été mis en place, en mai 1997, une coopération permanente entre la DGCCRF, la Direction générale des douanes et droits indirects et la Direction générale des impôts afin d’élaborer, au niveau central, puis de mettre en œuvre, au niveau local, un plan d’action commun contre l’économie souterraine.

      2.– La coordination entre les administrations

      Le Gouvernement avait donné, en 1996, des suites rapides, concrètes et positives aux conclusions du rapport de la précédente commission d’enquête, en créant, par un décret du 9 mai 1996 un observatoire interministériel sur les sectes, chargé d’analyser le phénomène et de proposer les moyens les mieux adaptés pour lutter contre ses dérives.

      Après deux ans d’exercice, l’Observatoire a présenté un bilan mitigé.

      La Commission a constaté que cet organisme, bien que doté de moyens financiers, humains et matériels restreints, avait pu initier avec les administrations concernées quelques actions efficaces dans la lutte contre les sectes concernant notamment le suivi des mineurs ainsi que la mise en place, à titre expérimental, d’un dispositif d’accueil médico-social pour les sortants de sectes et les familles des adeptes.

      Parallèlement, l’Observatoire a pu piloter une politique de formation des fonctionnaires et agents publics à la connaissance du phénomène sectaire.

      L’Observatoire n’a cependant pas réussi à instaurer la concertation et la coordination des administrations publiques. À bien des égards, le problème transversal que pose la lutte contre la fraude commise par les sectes continue à révéler les limites d’une administration édifiée traditionnellement sur un modèle vertical et qui éprouve de grosses difficultés à travailler sur un mode horizontal lorsque l’efficacité l’impose.

      Bien trop souvent, la main droite du service public ignore ce que fait sa main gauche. Il en résulte la formation d’espaces ouverts à la fraude et ce, malgré la sophistication constante, depuis cinquante ans, de notre système administratif. Autrement dit, le perfectionnement continu de la cuirasse, comme celui des armures qui se firent si facilement percer à Azincourt, a multiplié les interstices par lesquels s’insinuent les plus habiles à pratiquer la fraude, l’escroquerie et la corruption.

      La Commission a parfois eu l’impression que les très nombreux et savants mécanismes de contrôle que les pouvoirs publics n’ont cessé de mettre en place fonctionnaient à l’inverse d’un filet de pêcheur : imbattables dans l’arrêt des petits poissons, ils laissaient souvent la voie libre aux plus gros…

      3.– La collaboration entre États

      Plusieurs instructions judiciaires ont mis en lumière les obstacles auxquels se heurte la coopération entre Etats.

      Les autorités luxembourgeoises ont refusé d’accorder la commission rogatoire internationale demandée par le juge d’instruction chargé du Dossier de l’Eglise de scientologie de Lyon. Elles ont accepté d’exécuter elles-mêmes l’enquête et ont transmis les relevés du compte Lucas sur lequel, on l’a vu, transitaient les versements à destination de l’organisation américaine de la secte. Ces relevés ont permis de reconstituer les sommes prélevées sur la branche européenne de la secte. L’impossibilité d’aller sur place a cependant empêché le juge et les officiers de police judiciaire d’établir de manière précise l’utilisation des fonds. Les réticences opposées par le Danemark ont été encore plus importantes. Malgré deux séjours de quinze jours à Copenhague où se trouve l’instance européenne de la secte, le formalisme opposé par les autorités judiciaires et policières a interdit une véritable collaboration. Enfin, le juge a été dissuadé de faire une demande de commission rogatoire internationale aux Etats-Unis, sachant qu’une telle demande était en règle générale refusée par les autorités américaines. En définitive, les difficultés rencontrées à l’étranger ont interdit aux enquêteurs de remonter au bout de la filière internationale de financement de la Scientologie.

      Une autre instruction, actuellement en cours, soulève les mêmes difficultés. Si la collaboration avec les autorités canadiennes, belges et suisses a pu s’établir, le juge s’est heurté à une absence de réponse de la part de l’Espagne et à un refus de l’Australie.

      Des difficultés sont également relevées dans le sens inverse. La Commission d’enquête du Parlement belge a désigné le doyen des juges d’instruction de Bruxelles pour enquêter sur Luc Jouret, citoyen belge qui dirigeait l’Ordre du temple solaire. Le juge a adressé à la France une commission rogatoire internationale que la Chancellerie a refusé au motif qu’une commission parlementaire n’est pas compétente en matière d’infraction pénale.

      4.– Le rôle confié à la Mission interministérielle de lutte contre les sectes

      Les pouvoirs publics ont décidé, en 1998, de donner une nouvelle impulsion interministérielle à la lutte contre les dérives sectaires. Le décret du 7 octobre 1998 supprime l’Observatoire et institue à sa place une Mission interministérielle de lutte contre les sectes (MILS). La nouvelle structure est chargée de missions plus larges et plus directement opérationnelles :

      • elle doit d’abord analyser le phénomène sectaire en profondeur : elle est, pour cela, destinataire de toutes les informations détenues par toutes les administrations. Elle peut leur demander d’effectuer des études et des recherches particulières en ce domaine ;
      • elle doit ensuite inciter les services publics à prendre les mesures appropriées pour prévenir et combattre les actions des sectes qui portent atteinte à la dignité de la personne humaine ou qui menacent l’ordre public. Pour cela, elle signale aux administrations les agissements portés à sa connaissance et paraissant appeler une initiative de leur part, et aux procureurs de la République les faits susceptibles de recevoir une qualification pénale ;
      • elle doit contribuer à l’information et à la formation des agents publics sur les méthodes d’investigation et de poursuite des dérives sectaires ;
      • elle doit informer le public sur les dangers que présente le phénomène sectaire ;
      • enfin, elle participe aux réflexions et aux travaux concernant les questions de sa compétence dans les enceintes internationales.

      Sur le plan fonctionnel, le Président de la mission réunit périodiquement un groupe opérationnel composé de représentants des départements ministériels concernés, afin que ceux-ci échangent les informations qu’ils détiennent et coordonnent leurs interventions.

      Ce dispositif constitue un progrès sensible pour la concertation et la collaboration des différentes administrations, que la Commission se plaît à souligner, ayant mesuré combien une lutte efficace contre les dérives sectaires impliquait une coordination interministérielle étroite, non seulement au niveau central et conceptuel, mais plus encore au niveau local et opérationnel.

      La Commission attend beaucoup de la MILS. Il est essentiel qu’elle dispose des moyens nécessaires à son action, notamment par un renforcement du personnel mis à sa disposition. Il faut également que l’ensemble de l’administration lui prête son concours et reconnaisse son rôle d’impulsion et de coordination. Celui-ci pourrait être conforté par des mesures concrètes que la Commission propose de mettre en place afin de lui donner une pleine efficacité.

      B.– Les améliorations indispensables

      Les axes d’amélioration de l’efficacité de la lutte contre les dérives sectaires restent les mêmes. Ils sont au nombre de quatre : mobilisation, coordination, spécialisation et coopération internationale.

      1.– Mobilisation

      Il paraît indispensable à la Commission de généraliser à tous les ministères l’élaboration d’une instruction spécifique sur les dangers des sectes et les moyens de les combattre.

      Compte tenu de l’extrême diversification des agissements sectaires, il est clair qu’aucun ministère ne peut se désintéresser du problème en estimant que les affaires dont il traite et les services qu’il gère ne sont pas concernés. Bien sûr, les départements ministériels ne sont pas tous impliqués au même degré, mais aucun ne saurait pour autant s’affranchir de l’examen du problème pour ce qui concerne ses compétences et son champ d’action.

      Aussi, la Commission suggère-t-elle au Gouvernement que, sous l’autorité du Premier ministre et avec l’assistance technique de la MILS, un comité interministériel définisse le cadre général de l’action de l’Etat et demande à chaque ministre de préparer une instruction sur les sectes.

      Cette procédure permettra à la fois de disposer d’éclairages nouveaux sur la question et de mettre en place des dispositifs mieux coordonnés.

      2.– Coordination

      La coordination interministérielle constitue le second point sur lequel un effort supplémentaire doit être réalisé.

      Si l’on peut considérer qu’au niveau central, la coordination s’est améliorée, on peut en revanche regretter qu’elle ne descende pas suffisamment au niveau opérationnel, notamment à celui des enquêtes et des poursuites judiciaires.

      La Commission a eu à plusieurs reprises le sentiment d’un certain isolement de magistrats instructeurs qui n’ont pu obtenir de services administratifs importants, notamment du contrôle fiscal, l’aide technique qu’ils attendaient.

      La Commission estime qu’il revient, ici encore, à la MILS de jouer un rôle moteur. Devrait être rapidement mise à l’étude la création de structures départementales qui lui seraient rattachées et qui auraient pour tâches :

      • de constituer un centre d’information du public, à tout le moins, un bureau installé dans chaque préfecture ;
      • d’orienter et de conseiller les victimes anciens adeptes et leurs familles ;
      • de fournir aux administrations concernées les informations nécessaires à leur action ;
      • de collecter, en retour, toutes les informations en provenance des administrations sur l’activité sectaire dans le département.

      Cette structure permettrait ainsi d’assurer une coordination opérationnelle qui, sans aller jusqu’à des enquêtes en commun, rassemblerait les expériences et fournirait aux différents services de l’Etat des repères méthodologiques de nature à faciliter leur action.

      3.– Spécialisation

      La Commission a débattu de l’opportunité de créer une magistrature spécialisée dans les affaires sectaires. Dans la mesure où la justice se trouve confrontée dans ce domaine à des mécanismes de filières comparables à ceux qui ont eu cours en matière de terrorisme, on peut légitimement s’interroger sur l’utilité qu’il y aurait à adopter un système comparable. On constate souvent, en effet, de réelles pertes de temps, d’énergie et probablement de substance, lorsque, dans le ressort de plusieurs juridictions, sont engagées des procédures concernant des faits analogues. La justice gagnerait alors, en rapidité et en efficacité, à une certaine verticalisation de l’instruction.

      La Commission n’a toutefois pas retenu cette solution, pour deux raisons principales :

      • en premier lieu, il lui est apparu contraire à l’évolution récente de l’organisation judiciaire de créer des tribunaux spécialisés, qui soulèvent toujours des questions délicates du point de vue des libertés publiques ;
      • en second lieu, il paraît difficile de créer une juridiction spécialisée alors que les incriminations qui la justifieraient n’ont pas été définies par la loi. En l’absence de définition légale de la notion de secte, il paraît exclu d’avancer davantage sur la piste d’un tribunal spécialisé.

      La Commission a privilégié la voie de la spécialisation des magistrats. Des efforts significatifs, on l’a vu, ont été accomplis par la Chancellerie pour assurer une formation continue des juges à la connaissance des méthodes sectaires. Pour excellente que soit cette formule, elle risque toutefois de s’avérer insuffisante. Dans une société qui se complique chaque jour et où le droit devient de plus en plus complexe, les compétences des magistrats ne peuvent étendre à l’infini une connaissance minutieuse de toutes les pratiques délictueuses.

      C’est pourquoi, il convient de réfléchir à la possibilité de créer, dans le ressort des cours d’appel des postes de magistrats spécialement formés pour traiter des questions sectaires. Cette fonction constituerait un complément utile à la fonction exercée par l’actuel correspondant sectes auprès du Parquet général.

      La Commission souhaite donc que le ministère de la Justice explore avec soin cette piste, au besoin avec le concours de la MILS et des associations d’aide aux victimes des sectes.

      4.– Coopération internationale

      L’importance de la dimension internationale de la fraude sectaire montre la nécessité de renforcer la coopération entre Etats. La Commission propose qu’une convention traite spécifiquement de la lutte contre les sectes et crée les moyens d’une véritable collaboration entre les autorités judiciaires et policières au sein de l’Union européenne.

      On constate en effet que la collaboration au sein de l’Union européenne est loin d’être effective. Plutôt que de lancer une coopération à un niveau plus large qui serait probablement, pour le moment, vouée à l’échec, la Commission propose d’établir une concertation au sein de l’Union, afin d’aboutir à une convention organisant une lutte concertée contre le sectarisme.

      Les difficultés de collaboration entre Etats européens reposent encore sur les divergences opposant les systèmes juridiques du sud de l’Europe et la tradition anglo-saxonne. Cette dernière privilégie les procédures orales et accusatoires ; elle fait de la perquisition et de la garde à vue des techniques assez exceptionnelles. On est loin du dispositif français fondé sur des procès-verbaux écrits et une conception inquisitoire, au sens juridique du terme, de l’instruction.

      Ces divergences trouveraient matière à s’aplanir dans une convention qui fixerait des procédures précises de collaboration entre les Etats européens. Spécifique à la lutte contre les sectes, une telle convention aurait pour objectif d’organiser la concertation indispensable à cette tâche, et de permettre à la justice de mieux remplir son rôle, notamment dans la reconstitution des circuits internationaux de financement. Ce texte compléterait utilement les accords déjà conclus au sein de l’Union européenne sur le renforcement de la lutte contre la fraude, actuellement en cours de ratification.

      Au demeurant, cette proposition, indispensable à la garantie des libertés individuelles, ne fait que reprendre une idée avancée par plusieurs instances européennes, mais restée lettre morte. En 1984 le rapport de M. Richard Cottrell pour le Parlement européen, et en 1991 celui de Sir John Hunt pour le Conseil de l’Europe exploraient la même piste.

      Pour renseignements écrire à

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